L’exposition « Women artists 1550-1950 » à Los Angeles

Le 23 décembre 1976, l’exposition « Women Artists 1550 – 1950 » s’ouvrait à Los Angeles.
Mais alors, c’est quoi cette expo et pourquoi elle est importante ?

Vue de l’exposition

En 1971, le Museum of Art de Cleveland accueille une exposition consacrée au Caravage. Jusque-là rien d’extraordinaire, mais cette énième consécration d’un peintre provoque des remous chez certaines artistes femmes de Los Angeles qui se rendent au County Museum of Art pour réclamer que les oeuvres réalisées par des femmes aient droit aux mêmes surfaces et aux mêmes temps d’exposition que les artistes hommes. L’entente est trouvée autour d’un projet d’exposition sur Artemisia Gentileschi, en réponse directe à celle sur Le Caravage.

Quand le directeur du musée, Kenneth Donahue, discute de cette idée avec l’historienne de l’art Ann Sutherland Harris, celle-ci saute sur l’occasion pour lui rappeler que de nombreuses autres artistes ont été effacées de l’histoire de l’art et méritent d’être valorisées.

 

 

Ann Sutherland Harris (née en 1937)
Spécialiste de l’époque baroque, elle enseigne alors à l’université Columbia (New York). Aujourd’hui, elle est professeure émérite à l’université de Pittsburgh.

 

C’est ainsi que nait un projet d’exposition inédit pour un musée de cette ampleur : une lecture de l’histoire de l’art moderne uniquement à travers des oeuvres d’artistes femmes et la place de que ces dernières méritent dans une écriture plus égalitaire de l’histoire.

Dès le début du projet, Ann Sutherland Harris demande à ce que Linda Nochlin y soit associée.

 

Linda Nochlin (1931-2017)
Historienne de l’art, spécialiste de Gustave Courbet et du XIXe français mais surtout pionnière d’une approche féministe de l’histoire de l’art et à qui les études de genre dans ce domaine doivent beaucoup.
En 1971, quand elle est contactée pour participer à l’exposition, Linda Nochlin vient de publier son célèbre article tout en provoc’ « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ? » dans lequel elle donne son point de vue sur la sous-représentation des femmes dans l’histoire de l’art. Dans ce texte fondateur, non seulement Nochlin met en perspective la façon dont l’histoire de l’art a été écrite, mais elle casse aussi les genoux à la notion de génie et à celle d’essence féminine qui serait commune aux productions artistiques des femmes.

« Women artists 1550-1950 » est une exposition fondatrice et pionnière.
Déjà par ses proportions : pas moins 150 oeuvres réalisées par 84 artistes actives sur 4 siècles, pour la plupart inconnues du public, sont rassemblées dans le même espace. Et pourtant, malgré ces chiffres, cette exposition reste un « survol historique des principales femmes peintres »
Ensuite par son propos, celui d’une approche féministe de l’histoire de l’art.
Car l’idée de l’exposition n’est pas seulement de faire la liste incomplète d’artistes femmes oubliées du grand récit de l’histoire. Elle est aussi de comprendre les raisons de la sous-représentation de ces dernières dans le champ de l’art.

L’exposition – et le catalogue qui l’accompagne – s’attache en effet à cerner le cadre social dans lequel ces peintresses ont exercé, et suivre son évolution au cours des 4 siècles couverts.
Education artistique limitée des femmes (et ses conséquences sur les genres de peinture, techniques ou types de composition auxquels elles avaient accès), rapport avec les autres artistes hommes et critiques, mariage, contraception, tolérances ou interdictions de telle guilde, telle académie, telle société artistique… Tout y passe pour mieux comprendre la discrimination systémique dont ces artistes ont fait l’objet.

Le catalogue est aussi une ressource précieuse car il compile les notices des 83 artistes exposées et représente ainsi une source d’information inédite pour l’époque.

L’exposition appuie aussi sur l’absence d’ « essence féminine » dans la création artistique (coucou Nochlin). Les seuls points communs partagés par les artistes femmes concernent les conditions concrètes de la création et les discriminations systémiques auxquelles elles ont du faire face à cause de leur genre : difficulté d’accès à la formation et à la reconnaissance, interdiction d’apprendre le nu, accès quasi impossible aux grands formats…

« Women artists 1550 – 1950 » était une exposition itinérante : après Los Angeles, elle a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York.
Dans un article des Cahiers du GRIF de 1977, Françoise Colin appelait les musées européens à l’accueillir à leur tour, mais son souhait ne semble pas avoir été entendu.

L’exposition a bien sûr des défauts, le plus grand étant qu’elle est limitée aux peintresses (le titre « Femmes artistes » et d’ailleurs devenu « Femmes peintres » dans la traduction française) blanches et occidentales (à l’exception de Frida Kahlo) et ne représente donc pas l’ensemble de la contribution des artistes femmes à l’histoire de l’art. Exit les enlumineuses médiévales, les tapissières d’art, les sculptrices, les artistes asiatiques, africaines, moyen-orientales etc.

Il y a aussi le fameux « dédier une exposition aux femmes, c’est contribuer à leur isolement et non à leur insertion dans l’histoire », démonté dans le catalogue par Ann Suthlerland Harris :

« Pendant trop longtemps, elles ont été soit purement et simplement oubliées, soit isolées, comme dans cette exposition. Elles étaient abordées en tant que femmes artistes et non en tant qu’artistes tout court, comme si, pour quelque raison étrange, elles ne faisaient pas partie de leur propre civilisation. Quant à cette exposition, elle aurait atteint son but si elle permet de balayer une fois pour toutes tous les préjugés qui l’ont justifiée. Puisse-t-elle être la dernière organisée sur ce thème ! »

Cependant, cette exposition reste quand même un évènement très important pour une histoire de l’art inclusive qui ne se lit pas qu’à travers un seul genre. Et puis, il ne faut pas oublier que c’est le premier évènement du genre (et que certaines expositions centrées sur les artistes femmes plus récentes ne sont pas non plus exemptes de leurs oublis et poncifs).
Enfin, il faut aussi noter que les commissaires n’ont pas pu exposer toutes les oeuvres qu’elles souhaitaient, les institutions et collectionneurs étant assez frileux à l’idée de contribuer à cette expo