Peintresses de l’exposition « Women artists 1550-1950 »
AdElaïde LABILLE-GUIARD – Marie-Guillemine Benoist – Hortense Haudebourt-Lescot
Cet article reprend une série de posts réalisés sur Instagram consacrée à 30 peintresses parmi celles présentées durant l’exposition « Women artists 1550-1950 » en 1974-1975. Cette exposition itinérante a commencé à Los Angeles puis a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York. Elle était curatée par les historiennes de l’art Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin et est toujours considérée comme un moment essentiel pour les approches féministes et de genre en histoire de l’art.
Adélaïde LABILLE-GUIARD (Paris, 1749 – Paris, 1803)
La Rivale d’Elisabeth Vigée-Lebrun
Adélaïde Labille-Guiard est née dans une famille de commerçants bourgeois parisiens qui semble avoir encouragé son penchant artistique en lui assurant une bonne formation dans l’atelier de François Elie Vincent, un miniaturiste installé dans la même rue que la mercerie du père d’Adélaïde.
Dans sa vingtaine, elle complète son apprentissage auprès de Maurice Quentin de la Tour, un pastelliste renommé, ce qui lui permet de devenir une grand maîtresse de cette technique. Elle perfectionne ensuite sa connaissance de la peinture à l’huile avec François André Vincent, le fils de son premier maître, qui vient de rentrer de 4 ans d’études à Rome et avec qui elle reste amie toute sa vie.
A 20 ans, elle épouse un expert fiscal, Louis Nicolas Guiard. Le couple se sépare 10 ans plus tard, sans avoir eu d’enfants. Elle continuera cependant à signer ses toiles « Labille-Guiard », probablement parce que c’est le nom sous lequel elle est connue dans les cercles artistiques.

Portrait en pied de Louise-Elisabeth de France, fille de Louis XV, duchesse de Parme, et de son fils Don Ferdinand, 1788, Château de Versailles
Adélaïde Labille-Guiard intègre l’Académie de Saint-Luc en 1769. Moins prestigieuse mais plus ouverte aux femmes que l’Académie Royale (elles avaient même accès à certains cours), c’est grâce aux expositions de l’Académie de Saint-Luc qu’elle se fait connaitre, avant que celle-ci ne soit dissoute en 1777. Elle doit alors trouver d’autres lieux ouverts aux femmes, souvent des initiatives privées, comme le Salon de Pahin de La Blancherie entre 1778 et 1787.
Elle est ensuite élue à l’Académie Royale en 1783, durant la même séance qu’Elisabeth Vigée Le Brun, et peut ainsi exposer son travail au Salon.

Le sculpteur Augustin Pajou, 1783, Musée du Louvre
Son morceau de réception à l’Académie est habilement pensé : en représentant le sculpteur Pajou au travail, elle honore la tradition de réaliser des portraits d’académiciens tout en s’assurant que son modèle pourra témoigner que c’est bien elle qui a réalisé ce portrait.
Avant cette œuvre, elle avait en effet été accusée à plusieurs reprises par la presse de ne pas être la réelle autrice de son travail, vu comme étant de trop bonne qualité pour avoir été peint par une femme. De plus, en choisissant le pastel, technique vue comme typiquement féminine, elle s’affirme comme la seule autrice de cette œuvre.
Ce tableau est un exemple représentatif des stratégies développées par les artistes femmes pour affirmer leur légitimité sans être soupçonnées d’immedostie.
Adélaïde Labille-Guiard et Elisabeth Vigée Le Brun sont des concurrentes, peut-être même des rivales (en tout cas c’est comme ça que la presse de l’époque se plaît à les présenter). Toutes deux portraitistes, elles participent cependant activement à donner une meilleure reconnaissance à ce genre. Les femmes sont toujours limitées au portrait et à la nature morte ? Pas de soucis, elles vont faire monter ces genres dans la hiérarchie artistique.
Elles font ainsi partie du nombre croissant de peintresses à Paris qui commence à avoir un certain poids économique et à faire peur à leurs collègues masculins, suivies par leurs petites armées d’élèves féminines.
Adélaïde Labille-Guiard forme de nombreuses élèves et est réputée comme excellente professeure. En 1785, elle fait indirectement rentrer deux d’entre elles au Salon en les intégrant à son autoportrait. Il s’agit de Marie-Marguerite Carreaux de Rosemond et de Gabrielle Capet.
Cette œuvre est aussi une prise de position dans la polémique qui a alors lieu concernant l’accès à la formation artistique des femmes.
Symptôme du désir de reconnaissance et d’institutionnalisation de la pratique artistique féminine, Adélaïde Labille-Guiard, comme d’autres artistes de l’époque, se représente pinceaux à la main, remettant en cause les représentations traditionnelles de la femme (idéalisation, allégorie, objet des regards) et leur rôle de spectatrice passive dans les scènes représentées (coucou David).

Autoportrait avec deux élèves, Marie-Gabrielle Capet et Marie-Marguerite Carreaux de Rosemond, 1785, Metropolitan Museum of Art, New York
Son élève Gabrielle Capet, lui rend à son tour honneur en peignant L’Atelier de Mme Vincent en 1800 – à la fin de sa vie, Adélaïde Labille-Guiard épouse son ami d’enfance et professeur François André Vincent, d’où ce changement de nom.

Gabrielle CAPET, L’atelier de Mme Vincent en 1800, 1808, Pinacothèque Munich
Marie-Guillemine Benoist (Paris, 1768 – Paris, 1826)
La Génération des élèves
Marie-Guillemine Benoist, née de Laville-Leroux, fait partie de la génération des élèves des premières artistes femmes qui ont bataillé pour asseoir leur position, parmi lesquelles Adélaïde Labille-Guiard et Elisabeth Vigée Le Brun, chez qui Marie-Guillemine Benoist commence son apprentissage en 1781.
5 ans plus tard, elle entre dans l’atelier de Jacques-Louis David, le grand maître du néo-classicisme. Situé au Louvre, l’atelier de David, en particulier sa section féminine, est un lieu d’apprentissage très en vue.
Influencée par David dans le choix de sujets antiquisants, Marie-Guillemine Benoist se tourne vers la peinture d’histoire. Puisqu’elle n’a pas eu le droit d’étudier le nu masculin, elle se concentre sur le corps féminin, suivant la même stratégie qu’Elisabeth Vigée Le Brun dans ses quelques peintures d’histoire.
Dans son autoportrait de 1786, elle rend hommage à David en se représentant en train de peindre une œuvre du maître, le Bélisaire, qui était son morceau de réception pour son entrée à l’Académie Royale. La toile lui permet en même temps d’exprimer son ambition pour la peinture d’histoire et d’assurer sa visibilité, puisque David est alors une célébrité.

Autoportrait copiant le Bélisaire et l’enfant à mi-corps de David, 1786, Staatliche Kunsthalle, Kasisruhe
Pendant plusieurs années, Marie-Guillemine Benoist se consacre donc à la peinture d’histoire, n’hésitant pas à lancer quelques petites piques au passage. Par exemple, dans sa représentation de l’Innocence hésitant entre le Vice et la Vertu, elle montre le Vice sous des traits masculins alors que traditionnellement c’est une femme.

Les Adieux de Psyché à sa famille, 1790, collection privée
En 1795, elle est victime de violentes attaques de la part de la critique. Mais surtout, les grands formats historiques, très coûteux, ne se vendent plus, le travail manque et les genres les plus rémunérateurs deviennent la peinture de genre, la miniature et le portrait, ces petits formats accessibles à la nouvelle bourgeoisie montante.
Or, Marie-Guillemine Benoist est alors la seule à subvenir aux besoins de ses 3 enfants et de son mari, que les positions royalistes ont laissé sans emploi après la Révolution. Elle abandonne donc la peinture d’histoire pour la peinture de genre.

Portrait de Madeleine, 1800, musée du Louvre
Elle n’est cependant pas prête à lâcher son petit goût pour la provoc’ : en 1800, elle expose au Salon le Portrait de Madeleine.
Réalisé 6 ans après l’abolition de l’esclavage, il est considéré comme une célébration du décret de 1794 et un appui pour son application totale – en réalité, le décret sera abrogé 2 ans plus tard par Napoléon.
Madeleine est une esclave affranchie née à la Guadeloupe et employée comme domestique par le couple de colons Benoist-Cavay, la belle-sœur et le beau-frère de Marie-Guillemine Benoist.
Elle n’est pas dépeinte dans la situation d’une esclave ou d’une domestique : le regard tourné vers le spectateur, elle ne baisse pas les yeux. Assise sur un fauteuil fastueux, elle occupe la place de la femme blanche bourgeoise. La représentation reprend entièrement les codes de représentation du portrait de l’époque, notamment ceux de David. Le modèle est toutefois érotisé, mais peu exotisé, à l’exception de la créole qu’elle porte à l’oreille – les créoles étaient les seuls bijoux que les esclaves étaient autorisées à porter.
Stratégiquement, c’est aussi l’occasion pour l’artiste d’affirmer ses qualités de peintre : non seulement le choix de son modèle l’assure d’être remarquée au Salon, mais en plus il lui permet de montrer sa maîtrise technique, la peinture de la peau noire n’étant pas enseigné car jugé comme un exercice ingrat.
En 1804, alors qu’elle vient de recevoir la médaille d’or au Salon, elle ouvre un atelier réservé aux femmes pour enseigner la peinture et reçoit des commandes de la part de la famille Bonaparte. Bref sa renommée commence à être solidement assise.
Mais en 1814, elle est priée de renoncer à sa carrière par son époux, afin qu’il puisse devenir conseiller d’État pour le gouvernement de la Restauration, ce qu’elle finit par accepter avec amertume :
« Mais tant d’études, tant d’efforts, une vie de travail acharné, et après une longue période d’épreuves, enfin le succès ! Et puis voir soudain tout cela comme un objet de honte ! Je ne pouvais m’y résoudre. Mais tout est bien ainsi, n’en parlons plus, je suis devenue raisonnable… mon amour-propre a reçu une blessure trop soudaine, aussi n’en parlons plus ou la blessure s’ouvrirait à nouveau. »
Lettre de Mme Besnoit à son mari, 1er octobre 1814
Hortense HAUDEBOURT-LESCOT Hortense (Paris, 1784- Paris, 1845)
La rebelle de la Villa Médicis
Les différents patronymes d’Hortense Haudebourt-Lescot montrent bien la problématique du nom chez les artistes femmes :
elle est née Hortense Viel, du nom de son père Jean-Baptiste Viel, parfumeur.
A la mort de ce dernier, sa mère se remarie à Jean-Louis Lescot, pharmacien, et Hortense devient Mlle Lescot, nom sous lequel elle se fait connaitre en tant qu’artiste.
En 1820, quand elle épouse l’architecte Louis-Pierre Haudebourt, elle ajoute ce nom au sien, devenant Madame Haudebourt-Lescot

Autoportrait, 1800, Musée du Louvre
Hortense Haudebourt-Lescot est déjà réputée comme danseuse quand elle commence son apprentissage de la peinture dans l’atelier de Guillaume Guillon-Léthière, qui est par ailleurs le premier homme racisé à s’imposer dans les cercles artistiques occidentaux.
Quand celui-ci est nommé directeur de l’Académie de France à Rome (Villa Médicis) en 1808, il impose la présence de son élève alors que les femmes n’y sont pas les bienvenues : on juge qu’il y a trop de jeunes artistes hommes et pas assez d’encadrement pour garantir la vertu des artistes femmes. En plus elle ne sont pas éligibles au grand prix de Rome, alors quel intérêt ?
Mais le maître et son élève obtiennent gain de cause malgré la polémique, et Hortense Haudebourt-Lescot réside à Rome de 1808 à 1816. Elle y noue des amitiés avec Jean-Auguste-Dominique Ingres, Michel-Martin Drölling, François-Marius Granet, Eugène Servières…

Le jeu de la main chaude, 1812, collection CNAP en dépôt au Musée des Beaux-Arts de Tours
En Italie, elle fait l’expérience de la peinture en plein air, et son observation de la vie quotidienne italienne imprègne durablement son œuvre. Elle gagne en renommée avec des sujets méditerranéens inspirés de la vie populaire et des scènes pittoresques aux palettes lumineuses, dans lesquels elle porte une attention très poussée aux costumes.
Elle envoie ses toiles pour participer aux Salons de Paris à partir de 1810 et obtient une médaille dès sa première participation. Elle n’en manquera ensuite aucun jusqu’en 1840.

La confirmation par un évêque grec dans la basilique de Sainte-Agnès-hors-les-murs à Rome, vers 1814,
Musée des Beaux-Arts de Rouen
Elle s’essaie également à la peinture historique mais la critique lui tombe vite sur le dos :
« C’est donc aux tableaux de chevalet et aux sujets charmants mais plus familiers que Mme Lescot devrait désormais consacrer exclusivement son talent »
Le critique Charles-Paul Landon à propos de son tableau François Ie et Diane de Poitiers
Pas grave, ses scènes de genre et ses portraits rencontrent un vif succès, elle reçoit de nombreuses commandes de bourgeois, aristocrates et du gouvernement et devient la peintre attitrée de la duchesse du Berry, Marie-Caroline de Bourbon-Siciles, une riche mécène qui a des vues sur le trône (elle tente de prendre le pouvoir en 1832 en tant que régente).

Portrait d’Hortense Ballu, future Mme Alphonse Jacob-Desmalter, 1831, Musée du Louvre

Portrait d’enfant, 1832, Collection privée
Après être revenue en France en 1816, elle ouvre un salon fréquenté par le tout Paris et un atelier de peinture réservé aux jeunes femmes :
« Ce salon – où se réunissaient toutes les réputations artistiques, littéraires, aristocratiques, où nous avons vu Talma rencontrer Scribe et Rossini, Horace Vernet, Granet, Picot, Drölling, David d’Angers fraterniser avec tout ce que la cour et la ville comptaient de plus noble et de plus brillant – était un rendez-vous d’élite où l’on ambitionnait d’être admis. En même temps, si c’était une faveur de paraître dans son salon, c’était une mode de passer dans son atelier à titre d’élève. »