Peintresses de l’exposition « Women artists 1550-1950 »
Giulia Lama – Angelica Kauffmann – Anne Vallayer-Coster
Cet article reprend une série de posts réalisés sur Instagram consacrée à 30 peintresses parmi celles présentées durant l’exposition « Women artists 1550-1950 » en 1974-1975. Cette exposition itinérante a commencé à Los Angeles puis a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York. Elle était curatée par les historiennes de l’art Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin et est toujours considérée comme un moment essentiel pour les approches féministes et de genre en histoire de l’art.
Giulia Lama (Venise, vers 1681 – Venise, après 1753)
La paria qui n’a pas hésité à concurrencer les hommes
De la vie de Giulia Lama, on ne sait que peu de choses. On ne connait pas ses dates exactes de naissance et de mort, et la majorité de ses peintures étaient attribuées à d’autres peintres jusqu’à récemment.
Cependant, on sait qu’elle a d’abord été formée par son père, Agostino Lama, un peintre vénitien peu renommé. Elle continue ensuite son initiation dans l’atelier de Giovanni Battista Piazzetta, peintre célèbre au style excentrique.
En suivant Piazzetta, Giulia Lama tourne le dos au nouveau style rococo plein de couleurs, préférant les recherches sur le clair-obscur dans la suite du baroque. Ce choix stylistique peu en partie expliquer la faible popularité que rencontrera le travail de Lama toute sa vie.
Les deux artistes restent ensuite proches, comme le prouve le portrait que Piazzetta réalise de Lama en 1718.

Giovanni Battista PIAZZETTA, Portrait de Giulia Lama, 1718-19
Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid
Autre explication au manque de renommée de Giulia Lama : son terrain de jeu. Elle s’attaque en effet à la peinture religieuse et d’histoire, territoire uniquement masculin. Elle réalise même des commandes religieuses, notamment pour des autels d’églises vénitiennes dont 2 sont toujours visibles aujourd’hui : une Crucifixion à San Vitale et une Madone dans sa gloire à Santa Maria Formosa
Et ça, ses concurrents ne le prennent pas très bien

Judith et Holopherne, 1730-1740, Gallerie dell’Accademia, Venise
« Je viens de découvrir ici une femme qui peint mieux que Rosalba [Carriera] en ce qui concerne les vastes compositions (…). La pauvre femme est persécutée par d’autres peintres, mais sa vertu triomphe de ses ennemis. Il est vrai qu’elle est aussi laide qu’elle a d’esprit, mais elle a une conversation gracieuse et brillante, si bien qu’on lui pardonne aisément son visage. » (Sympa)
Lettre de l’abbé Luigi Conti à Mme de Caylus, mars 1728
Contrairement à Rosalba Carriera, qui s’illustre à Venise au même moment dans un genre et une technique qui intéresse moins les peintres hommes, Lama marche sur les platebandes des artistes masculins et se prend leur opposition de plein fouet.

Martyr de saint Jean-L’Evangeliste, vers 1720, Musée des Beaux-Arts de Quimper
Avec de tels obstacles, Giulia Lama vit difficilement de la peinture. Elle est également poète et mathématicienne, mais c’est son activité de dentellière qui lui permet de subvenir à ses besoins.
Pourtant, elle tient bon. Non seulement elle continue à représenter des scènes religieuses et historiques, mais en plus elle est la première peintre dont le travail nous est parvenus à représenter des nus, féminins ET masculins. Elle est la première à braver l’usage qui interdit à une femme d’engager un.e modèle pour son propre compte, et aucune autre femme ne semble avoir suivi son exemple avant le XIXe siècle.

Nu féminin, date et lieu inconnus

Nu masculin, date et lieu inconnus
Angelica KAUFFMANN (Coire, Suisse, 1741 – Rome, 1807)
La rock-star de la peinture néo-classique
C’est le père d’Angelica Kauffmann, Joseph Johann Kauffmann, un peintre ambulant qui se déplace entre la Suisse, l’Autriche et l’Italie, qui la forme à la peinture. Elle l’accompagne depuis toute jeune et l’assiste dans ses réalisations de fresques dans les églises.
A 10 ans, elle réalise un portrait de l’évêque Nevroni qui la fait connaître comme enfant prodige. Elle achève ensuite sa formation à Milan, va ensuite à Florence (où elle rencontre le peintre américain Benjamin West) puis à Rome en 1763, temple du néo-classicisme, où elle fait son trou dans le milieu artistique.
En 1764, elle est élue à l’Académie di San Luca de Rome, fait exceptionnel pour une femme, et commence à peindre des grands formats historiques, fait exceptionnel pour une femmes -bis.
Elle devient ensuite membre des académies de toutes les villes où elle passe : Bologne, Florence, Venise.
L’épouse de l’ambassadeur anglais l’invite à aller en Angleterre avec elle : en 1766, elle part donc à Londres et fait partie des membres fondateurs de la Royal Academy of Art, dont elle est la seule représentante féminine avec la peintre Mary Moser.

Autoportrait, vers 1770-75, National Portrait Gallerie, Londres
Lors de la première exposition de la Royal Academy en 1769, ce sont ses tableaux qui marquent le plus les esprits. Elle obtient les 3e et 4e positions pour les peintures historiques, après 2 oeuvres de Benjamin West. C’est elle, la suisse formée en Italie, qui expose la première scène d’histoire médiévale anglaise à la Royal Academy en 1770.

Télémaque et les nymphes de Calpyso, 1782, Metropolitan Museum of Art, New York

Sarah Harrop (Mrs Bates) en muse, 1780-81
Musée d’art de l’Université de Princeton
Même quand elle peint des portraits, elle les transforme en allégorie pour leur donner une consistance historique, à la manière de Sir Joshua Reynolds, un des grands théoriciens de l’art néo-classique et autre membre fondateur de la Royal Academy, un des plus proches amis de Kauffmann.
La marquise Townshend veut une peinture avec son fils ? Elle sera Vénus et il sera Cupidon.
La chanteuse Sarah Harrop souhaite un portrait ? Ok, mais elle sera une muse de la musique.
En 1781, elle épouse le peintre vénitien résidant en Angleterre Antonio Zucchi, dont la carrière ne peut pas rivaliser avec la sienne et qui ralentit la peinture pour gérer les affaires de son épouse.
L’année suivante, le couple s’installe définitivement à Rome. En 1795, Zucchi meurt et les campagnes napoléoniennes en Italie et en Europe ralentissent le flot de visiteurs et de commandes internationales. La richesse de Kauffmann lui permet cependant de moins travailler tout en vivant aisément. Les artistes romains continuent de donner des banquets en son honneur et de vanter ses mérites dans des poèmes.
À sa mort en 1807, Angelica Kauffmann bénéficie de funérailles grandioses, dirigées par Antonio Canova et organisées sur le modèle de celles de Raphaël. Plusieurs de ses tableaux sont portées en triomphe par la procession funèbre formée de représentants des académies italiennes, française et portugaises.

Les adieux d’Hector à Télémaque, 1769, Saltram House, Plympton
Angelica Kauffmann fait partie des figures éminentes du néoclassicisme. Reconnue et célébrée de son vivant, son ascension fulgurante et son succès européen, elle qui est fille d’un modeste peintre provincial, est notamment due à une pensée marketing avant le mot : pour assurer son autopromotion, elle réalise de très nombreux autoportraits qu’elle utilise à des fins publicitaires et qu’elle distribue comme des goodies.
Anne VALLAYER-COSTER (Paris, 1744 – Paris, 1818)
La beauté de la nature-morte, les joies du rococo
Anne Vallayer-Coster grandit entourée d’artisans à la manufacture des Gobelins où son père est orfèvre. Quand celui-ci ouvre son propre atelier, la famille déménage à Paris (le 13e arrondissement ne fait alors pas partie de la captale).
Anne Vallayer-Coster y entame sa formation auprès de Madeleine Basseporte, miniaturiste et illustratrice botanique, professeure d’art des filles de Louis XV et première femme Peintre du Jardin du Roi. Elle devient ensuite l’élève de Joseph Vernet, peintre de paysage célèbre pour ses scènes marines.

Alexandre ROSLIN, Portrait d’Anne Vallayer-Coster, 1783
Crocker Art Museum, Sacramento
La première oeuvre connue d’Anne Vallayer-Coster remonte à 1762, alors qu’elle avait 18 ans. Même si elle peint aussi des portraits et quelques allégories, elle se spécialise très vite dans la nature morte : gibier, trophées militaires, fleurs, instruments de musique, coquillages…
Elle devient rapidement un des grands noms du genre en France et réalise plus de 400 toiles au cours de sa carrière.

Nature morte au homard, 1781, Toledo Museum of Art
Elle intègre l’Académie royale en février 1770. Au moment de son élection, l’Académie compte 111 membres tout domaine confondu, dont seulement deux femmes : Marie-Thérèse Reboul et Anna Dorothea Therbusch. Son morceau de réception, c’est-à-dire l’œuvre qu’elle présente pour son élection, est Attributs de la peinture, de la sculpture et de l’architecture.

Les attributs de la peinture, de la sculpture et de l’architecture, 1769, Musée du Louvre
Si elle vit de son art, la célébrité d’Anne Vallayer-Coster ne dépasse pas Paris. Elle a beau gérer sa carrière d’une main de maître, faisant son trou dans les cercles artistiques et s’attirant les éloges des critiques, elle souffre des comparaisons dont son travail fait l’objet en permanence.
Pour une peintre femme, elle ne vaut pas Elisabeth Vigée-Lebrun ou Adélaïde Labille-Guiard qui, elles, font des portraits et des scènes de genre.
Pour une peintre de nature morte, elle ne vaut pas Jean Chardin (alors qu’ils ont des styles et des sujets très différents, elle règne notamment sur les fleurs alors qu’il n’en a jamais peint) :
« Excellent, vigoureux, harmonieux, ce n’est pas Chardin, mais au-dessous de ce maître, cela est fort. Au-dessus d’une femme »
Diderot, Observations critiques sur les Tableaux du Sallon, 1785 (On ne dirait pas comme ça, mais cette critique est souvent perçue comme un compliment venant du grand et honorable Diderot)
Remarquée par Marie-Antoinette, Anne Vallayer-Coster devient la cheffe de son cabinet de peinture et reçoit un appartement au Louvre, privilège disputé par les membres de l’Académie.
Anne Vallayer-Coster crée abondamment de 1771 à 1789 puis s’interrompt pendant la Révolution. Pourtant très proche de la cour, elle n’est pas inquiétée durant cette période. Elle conserve même son logement au Louvre jusqu’en 1806, quand la fumée de sa cheminée gênera la vue depuis les appartements de Napoléon. Elle redevient ensuite peintre à la cour sous la Restauration

Panaches de mer, lithophytes et coquilles, 1769, Musée du Louvre
