Peintresses de l’exposition « Women artists 1550-1950 »

Lee Krasner – Loren Maciver – Dorothea Tanning

Cet article reprend une série de posts réalisés sur Instagram consacrée à 30 peintresses parmi celles présentées durant l’exposition « Women artists 1550-1950 » en 1974-1975. Cette exposition itinérante a commencé à Los Angeles puis a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York. Elle était curatée par les historiennes de l’art Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin et est toujours considérée comme un moment essentiel pour les approches féministes et de genre en histoire de l’art.

Lee KRASNER (Brooklyn, 1908 – New York, 1984)

Lena Krasner nait à Brooklyn dans une famille juive Russe récemment immigrée. Elle est la seule des 5 enfants à être née aux Etats-Unis.

Elle souhaite être artiste depuis très jeune et s’inscrit dans un lycée qui propose un cursus artistique. Elle intègre ensuite la Women’s Art School of Cooper Union, école d’art pour femmes, qui la National Academy of Design.
De 1933 à 1940, elle se forme également dans l’atelier du peintre Hans Hofmann, qui dit de son travail qu’il est tellement bon qu’on ne dirait pas qu’il a été crée par une femme.

Wilfred ZOGBAUM, Portrait de Lee Krasner, date inconnue

Attachée à son indépendance, elle gagne d’abord sa vie en décorant des chapeaux et de la porcelaine. Elle est aussi modèle et serveuse dans un café fréquenté par de nombreux artistes avec qui elle se lie.
Elle découvre le cubisme et l’abstraction en 1929 lors de l’ouverture du MoMA et dit « C’était comme si une bombe avait explosé… rien ne m’avait jamais autant touché, jusqu’à ce que je découvre le travail de Pollock ».
Dans les années 30, elle travaille pour le programme gouvernemental Federal Art Project, anciennement PWAP, comme Alice Neel et Isabel Bishop. Quand elle démissionne en 1940, elle rejoint l’American Abstract Artists, une association œuvrant pour la reconnaissance de l’art abstrait. Elle y rencontre de nombreux artistes comme Willem de Kooning ou Mark Rothko.

Desert Moon, 1955, LACMA Los Angeles County Museum of Art

Après que leurs œuvres se soient retrouvées côté à côté dans une expo en 1942, Lee Krasner va à la rencontre de Jackson Pollock pour faire connaissance. Ils se marient en 1945.
Elle adore son mari, le considère comme un génie, et travaille à la reconnaissance de l’œuvre de Pollock à côté de son travail artistique à elle en le présentant à tous les artistes qu’elle connait.
Elle ne semble pas gênée que son art reste dans l’ombre de celui de son mari et elle affirme que le nom de Pollock a aussi servi sa propre visibilité.
Cependant, l’alcoolisme de Pollock grandit en même temps que son succès, et Lee Krasner passe son temps à essayer de l’en sauver.

Elle réinvente sans cesse sa pratique, cherchant toujours à explorer l’abstraction un cran plus loin. Elle pratique aussi le collage et intègre des éléments collés dans ses toiles.
Elle détruit un grand nombre de ses œuvres, insatisfaite du résultat ou souhaitant passer à un autre style. Son catalogue raisonné (inventaire complet de son travail) compte 599 œuvres mais elle en a donc crée bien plus.
Comme Elaine de Kooning, elle aussi artiste « femme de », et Hélène Frankenthaler, elle signe ses toiles de ses initiales pour éviter qu’elles ne soient réduites à son genre.

Sans titre, 1964, MoMA, New York

L’invention de la technique du « all-over » (= recouvrir entièrement la toile sans laisser de marge), revient autant à Lee Krasner qu’à Jackson Pollock. C’est aussi Lee Krasner qui conseille à Pollock de numéroter ses œuvres plutôt que de les nommer pour éviter toute « pollution » du titre dans la réception de ses toiles par les spectateurs. Et c’est Pollock qui a inspiré Krasner à ne plus peindre d’après nature (modèles ou natures mortes) pour exprimer ses émotions plus directement.
En 1956, alors qu’elle est en voyage en Europe, Jackson Pollock se tue en conduisant ivre avec sa maîtresse (qui survit à l’accident). Le deuil est compliqué pour Lee Krasner. Elle change alors d’atelier pour pouvoir peindre des toiles de très grande dimension. A partir de là et quasiment jusqu’à sa mort en en 1984, elle peint tous les jours.

Right Bird Left, 1965, David Owsley Museum of Art, Muncie

Son travail a donc longtemps été éclipsé par les artistes hommes de l’expressionnisme abstrait, en particulier par celui de sa star de mari :
« Lee Krasner (Mme Jackson Pollock) prend la peinture et les émaux de son mari et transforme ses lignes effilées et balayées en petits carrés et triangles soignés » disait un critique dans ARTnews en 1949.

Elle est maintenant considérée comme une artiste centrale de l’abstraction – et fait partie des rares élues à avoir eu une rétrospective au MoMA, en 1985. Elle est aujourd’hui une des artistes femmes les plus chères du marché.

Palingenesis, 1971, Pollock-Krasner Foundation New York

Loren MACIVER (New York, 1909 – New York, 1998)

Mary Newman est née dans une famille de la classe moyenne new yorkaise – son père est médecin. Elle montre un intérêt précoce pour l’art et commence à suivre des cours dès ses 10 ans. Selon ses dires, elle n’a pas suivi d’autre enseignement artistique et est donc largement autodidacte.
Elle choisit le nom de sa mère comme nom d’artiste, apportant au passage une petite modification (McIvers devient MacIver). Elle choisit aussi le prénom Loren, qui lui semble moins féminin que Mary pour éviter que son œuvre ne soit réduite à son genre.

Red Votive Lights, 1943, MoMA, New York

Son œuvre oscille en permanence entre figuration et abstraction, entre reproduction réaliste et interprétation poétique. Elles ont en commun un traitement éthéré de la lumière et des coups de pinceaux secs. Elle met souvent en scène des moments du quotidien ou des objets qui l’entoure, proposant des moments contemplatifs de sa vie de tous les jours dans des toiles de petite taille. Son travail est une expression très personnelle qui explore sa propre identité, sa propre vie, et développe un style bien distinct des recherches artistiques de son temps.

En 1929, elle épouse le poète Lloyd Frankenburg qui la présente à son cercle d’amis, composé surtout d’écrivains et de critiques. Ce sont ces amis qui vont défendre le travail de Loren MacIver dans tout New York et lui permettre d’atteindre une célébrité importante de son vivant.
Son mari défend si bien son travail que plusieurs galeries essaient de l’embaucher. C’est grâce à lui qu’elle est la première artiste femme à entrer dans la collection permanente du MoMA en 1935.
Quand la poétesse Marianne Moore la présente à l’American Academy and Institue of Arts en 1956, elle la décrit comme « une classiciste de l’imagination, une interprète de ce qui ne peut pas être peint »

Store de fenêtre, 1948, Philipps Collection, Washington

Loren MacIver est donc assez célèbre de son vivant, avant de tomber dans l’oubli après sa mort.
Elle bénéficie de plusieurs expositions, dont une rétrospective au Whitney Museum, et est l’une des rares artistes femmes de sa génération à être représentée par une galerie de son vivant – et ce pendant 50 ans.
En 1962, elle fait partie des artistes représentant les Etats-Unis à la Biennale de Venise – ce qui a valu pas mal de retours négatifs de la part des critiques. Son travail est alors passé de mode face à l’abstraction et à des mastodontes comme Barnett Newman, Mark Rothko ou Jasper Johns.

Autour d’un Tourteau de Poitiers, 1965, Philipps Collection, Washington

Dorothea Tanning (GALESBURG, illinois, 1910 – New York, 2012)

 

Dorothea Tanning est née dans une famille américaine d’origine suédoise installée dans une petite ville de l’Illinois où elle s’ennuie énormément. Enfant et adolescente, elle s’évade par la lecture et devient une grande passionnée de littérature.
Décidée à devenir artiste, elle s’inscrit à l’Academy of Fine Arts de Chicago, puis s’installe à New York où elle fait du dessin publicitaire pour gagner sa vie.

Lee MILLER Lee, Dorothea Tanning dans son atelier à Sedona (Arizona), 1946

En 1937, elle est très marquée par l’exposition « Fantastic Art, Dada, Surrealism » au MoMA à New York. En 1942, elle se rapproche du groupe des artistes surréalistes exilés aux Etats-Unis durant la Deuxième Guerre Mondiale, notamment d’André Breton et de Marcel Duchamp qui gravite pas loin de ce cercle.

Birthday, 1942, Philadelphia Museum of Art

Elle participe à l’exposition « Exhibition by 31 women » en 1943, organisée par la collectionneuse Peggy Guggenheim. Elle s’impose rapidement sur la scène new-yorkaise où elle est vue comme une des pionnières d’un art proprement américain.
Sa première exposition personnelle en 1944 a lieu à la galerie Julien Levy, le QG du surréalisme à New York.

Toute une partie du travail de Dorothea Tanning puise dans le surréalisme. Elle met en scène des sortes d’hallucinations où angoisses, peurs et fantasmes cohabitent comme dans des rêves. Elle disait :

« Gardez un oeil sur votre monde intérieur et éloignez-vous des publicités, des idiots et des stars de cinéma ».

On y trouve souvent des créatures animales et humaines, notamment des petites filles, des portes (ouvertes ou fermées) et tournesols (la seule fleur qui poussait en Arizona) dans des visions fantastiques faites de pulsions.
A partir des années 1950, son travail s’attache aussi à représenter l’érotisme du point de vue d’une femme : ses fantasmes, ses désirs, la richesse de son imaginaire sexuel. Après plusieurs années à fréquenter le boy’s club du surréalisme, elle veut montrer que les femmes ne sont pas que des muses sur lesquelles projeter ses fantasmes : ce sont elles-mêmes des êtres sexuels.

Eine Kleine Nachtmusik, 1943, Tate, Londres

Elle épouse l’artiste Dada et surréaliste Max Ernst en 1946, juste après qu’il ait divorcé de Peggy Guggenheim. Ils se marient durant une cérémonie commune avec Man Ray, autre artiste surréaliste, et Juliet Brown.
Le couple s’installe d’abord en Arizona dans une maison en bois qu’ils construisent eux-mêmes. Puis ils partent voyager en Europe en 1948 avant de poser leurs valises à Huismes, dans l’Indre-et-Loire. Ils y restent 14 ans avant de déménager à Seillans dans le Var.
Quand Max Ernst meurt en 1976, Dorothea Tanning retourne vivre à New York où elle reste jusqu’à sa mort.

Visite éclair (Lightning Visit) 1961, Collection privée

 Dans les années 1960, alors qu’elle vit dans le Var, elle commence aussi une pratique de sculpture, notamment de sculptures textiles : velours, dentelle, laine, fausse fourrure, des matériaux traditionnellement vus comme féminins. Elle crée des fragments de créatures humanoïdes, comme des poupées de chiffon géantes démembrées et tentaculaires.

Dorothea Tanning réalise aussi des décors et des costumes pour le théâtre, le cinéma et l’opéra, notamment pour le ballet « La Sorcière » de John Cranko. Elle écrit aussi, des récits de rêves et des poèmes – à 100 ans, elle continue de publier ses écrits. Elle meurt en 2012, à 101 ans, après avoir mené une carrière artistique durant plus de 70 ans.

Chambre 202, Hôtel du Pavot 1970, installation, Centre Pompidou

Bâteau bleu (The Grotto), 1950