Peintresses de l’exposition « Women artists 1550-1950 »
Levina TEerlinc – Catharina Van Hemessen – Fede Galizia
Cet article reprend une série de posts réalisés sur Instagram consacrée à 30 peintresses parmi celles présentées durant l’exposition « Women artists 1550-1950 » en 1974-1975. Cette exposition itinérante a commencé à Los Angeles puis a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York. Elle était curatée par les historiennes de l’art Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin et est toujours considérée comme un moment essentiel pour les approches féministes et de genre en histoire de l’art.
Levina Teerlinc (Bruges, années 1510/1520 – Londres 1576)
Une miniaturiste flamande à la cour d’Angleterre
Levina Teerlinc est la plus ancienne peintre représentée dans l’exposition. C’est une miniaturiste flamande, probablement formée auprès de son père, enlumineur et miniaturiste. Les femmes peintres étaient souvent formées auprès de leur père à la Renaissance, avant que les académies prennent le relais sur leur éducation (avec de très nombreuses limites, on en reparlera)
En 1545, elle quitte Bruges pour devenir la portraitiste officielle de la cour d’Angleterre sous Henri VIII. Elle succède ainsi à Hans Holbein le jeune, décédé 2 ans plus tôt – d’ailleurs, elle touche une rente annuelle plus élevée que celle d’Holbein, c’est dire sa réputation. Elle poursuit ensuite sa carrière de peintre de cour sous Edouard VI, Marie Iere puis Elisabeth Iere, et devient un sujet britannique en 1556.
Il est possible que Levina Teerlinc n’ait pas réalisé que des miniatures, mais le problème est qu’elle n’a signé aucune de ses œuvres. L’ensemble de ses travaux repose donc sur des attributions, en croisant son style avec des documents décrivant ses réalisations.

Portrait de Mary Dudley, Lady Sidney, 1575, 3,6cm,
Victoria & Albert Museum, Londres
Levina Teerlinc est l’une des plus grandes représentantes de la miniature. Son travail s’inscrit dans l’essor de ce format au XVIe siècle, en parallèle du développement du discours sur l’amour parmi les élites européennes cultivées. La littérature de l’époque est remplie de ces petits portraits échangés entre amants et portés sur le cœur.
La critique d’art de l’époque reconnait plus facilement les qualités artistiques d’une femme dans la miniature que dans les plus grands formats : forme d’art délicate, de petite taille et associée à l’intime et au domestique, elle est facilement vue comme féminine. Pourtant, de nombreux peintres hommes se sont aussi illustrés dans ce domaine, ce qui n’a pas semblé faire peur à Teerlinc : elle fait partie des 3 seules artistes européennes du XVIe siècle à avoir bénéficié d’une notoriété internationale. Le rôle de Levina Terlinc dans le développement de la miniature anglaise est aujourd’hui reconnu par les historien.nes de l’art, et plusieurs de ses œuvres font toujours partie de la Collection Royale.
Portrait présumé de la reine Elizabeth I, 1549,
Victoria & Albert Museum, Londres

Portrait de Katherine Grey, Comtesse de Hertford, vers 1555-60,
Victoria & Albert Museum, Londres
Catharina VAN HEMESSEN (Anvers 1528 – Anvers, après 1587)
La première peintre.sse à se représenter au travail
Catharina van Hemessen est la première peintre flamande dont on connait le travail avec certitude puisqu’elle est la première à voir signé ses oeuvres (mais pas toutes, sinon ça serait trop facile)
Fille du peintre Jan van Hemessen, qui fut probablement son professeur, elle réalise notamment un autoportrait un peu particulier : c’est la première fois qu’un ou une artiste se représente en train de peindre, un motif qui est promis à une belle vie pendant les siècles suivants. L’inscription sur la toile précise : « Moi, Catharina van Hemessen, me suis peinte en 1548 à l’âge de 20 ans. »
En peignant cette toile, Catharina Van Hemessen revendique son identité de peintre et de femme dans un domaine majoritairement masculin. La robe dans laquelle elle s’est représentée n’est pas un habit de travail mais lui permet d’affirmer son statut social privilégié.

Autoportrait, 1548, Kunstmuseum, Bâle

Portrait de la soeur de l’artiste au virginale, 1548,
Wallraf-Richartz-Museum & Fondation Corboud, Cologne
La même année, elle représente aussi sa soeur en train de jouer du virginale (sorte de clavier). Il fait écho à la petite brèche qui s’ouvre pour l’éducation des femmes de la Renaissance : les nouvelles dames de Cour se devaient en effet d’être cultivée, ce qui permit à certaines femmes de pouvoir apprendre à lire, peindre, jouer de la musique plus facilement qu’à la fin du Moyen Âge. Ça ne veut pas dire que l’accès à la création en tant que métier est facilité, il s’agit plutôt de nouveaux codes pour les femmes de l’aristocratie.
Elle intègre la guilde de Saint-Luc d’Anvers (corporation des peintres, sculpteurs, graveurs et imprimeurs) où elle acquiert le droit d’enseigner la peinture, y compris à des hommes.

Portrait d’une jeune fille, v. 1558, Musée d’art de Baltimore

Portrait de femme, date inconnue, Bowes Museum – Barnard Castle
Dans les années 1540, Marie de Hongrie, qui est alors la régente des Pays-Bas, découvre le travail de Catharina Van Hemessen et devient sa principale mécène. En 1554, elle épouse le musicien Chrétien de Morien, et 2 ans plus tard le couple est invité à rejoindre la cour de Marie de Hongrie en Espagne. Cependant, aucune œuvre signée de Catharina van Hemessen et datée ne nous ai parvenue après la date de son mariage, ce qui laisse penser que sa carrière s’est terminée à ce moment-là. Du coup, difficile de savoir si l’invitation de Marie de Hongrie s’adressait à elle ou à son mari. Toujours est-il que c’est bien Catharina qui a la charge d’enseigner l’art aux dames de compagnie de la cour d’Espagne.
Au décès de Marie de Hongrie 2 ans plus tard, le couple se voit alloué une pension à vie et rentre à Anvers. L’année suivante, Sofonisba Anguissola deviendra la peintre de la cour d’Espagne. Aucune source n’est arrivée jusqu’à nous après le retour de Catharina en Flandres, on ne sait donc rien de sa vie après 1558. Elle bénéficie cependant d’une notoriété certaine car 50 ans après sa mort le critique d’art Johan van Beverwijck mentionne encore son nom dans ses écrits.
Spécialisée dans le portrait, son style réaliste porte peu de traces des façons de peindre de l’époque en Flandres ou en Europe. Chez elle, la simplicité est reine, les décors sont très limités ou carrément absents, les fonds sont neutres et unis. La sévérité des poses et des vêtements semblent avoir volontairement été accentuée par l’artiste pour marquer la moralité et l’intégrité des femmes qu’elle représente.
FEDE GALIZIA (Milan, 1578 – Milan, 1630)
La pionnière de la nature morte en italie (mais pas que)
Fede Galizia a probablement été formée à la peinture par son père, Nunzio Galizia, miniaturiste originaire de Trente et installé à Milan.
On sait que ses gravures sont déjà remarquées alors qu’elle avait seulement 12 ans.
Son portrait de Paolo Morigia lui vaut une reconnaissance en tant que portraitiste avant même ses 20 ans.
Il comprend une longue inscription commençant par « Fede Galizia, vierge très pudique, âgée de 17 ans… » : on peut supposer qu’elle tient à garantir sa réputation en rassurant sur sa vertu après avoir peint un homme.
L’inscription « virgo » se retrouve sur les tableaux de plusieurs artistes, même mariées : elle correspond plus à l’idée de moralité qu’à celle de virginité.

Portrait de Paolo Morigia, 1592-95, Pinacothèque Ambrosienne, Milan

Portrait de Paolo Morigia, 1592-95, Pinacothèque Ambrosienne, Milan
Elle a aussi sa réputation dans la peinture religieuse – elle réalise le retable du maître-autel de Santa Maria Maddalena, Milan, 1616.
Pourtant, ce sont surtout ses natures mortes qui passeront à la postérité. Avant Fede Galizia, il n’existe que très peu d’exemples de nature morte en Italie, la seule qui nous soit parvenue étant Le panier de fruits du Caravage (Ambrosiana, Milan).
La nature morte est mal vue des critiques d’art en Italie et en France. Cependant, dans l’Italie baroque, l’engouement des amateurs d’art pour ce genre qui leur permet d’enrichir leurs cabinets de curiosité permet aux peintres de se passer de la bénédiction des critiques pour accéder directement à leur clientèle.
Dans cette logique, c’est grâce à ses natures mortes plus qu’à ses portraits ou peintures religieuse que Fede Galizia étend sa renommée jusqu’à la cour de Rodolphe II de Prague.
Elle fait partie des pionnières qui investissent ce genre, avec Louise Moillon à Paris et Clara Peeters à Anvers. Ces trois artistes contribuèrent à établir les conventions formelles et iconographiques de ce nouveau type de peinture.
Bien qu’elle vive de son art et que la qualité de son oeuvre soit reconnue de son vivant, Fede Galizia est rapidement effacée du récit de l’histoire de l’art après sa mort, surtout qu’elle n’a pas signé la majorité de ses oeuvres. Elle est redécouverte depuis les années 60 grâce aux travaux d’historien.nes de l’art.
