Peintresses de l’exposition « Women artists 1550-1950 »
Louise Moillon – Anna Maria Sibylla Merian – Rosalba Carriera
Cet article reprend une série de posts réalisés sur Instagram consacrée à 30 peintresses parmi celles présentées durant l’exposition « Women artists 1550-1950 » en 1974-1975. Cette exposition itinérante a commencé à Los Angeles puis a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York. Elle était curatée par les historiennes de l’art Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin et est toujours considérée comme un moment essentiel pour les approches féministes et de genre en histoire de l’art.
Louise MOILLON (Paris, 1609 ou 1610 – Paris, 1696)
Pionnière de la nature morte en France
Louise Moillon est née à Paris dans une famille protestante bourgeoise. Son frère et elle apprennent la peinture auprès de leur père, Nicolas Moillon, puis de leur beau-père, François Garnier.

COUPE DE CERISES, PRUNES ET MELON, 1633, Musée du Louvre
Tout comme Fede Galizia, l’une des premières peintres de nature morte en Italie, Louise Moillon est une pionnière du genre en France, contribuant à sa naissance et à sa diffusion.
La nature morte n’a cependant pas encore les honneurs qu’elle aura un siècle plus tard en France, et est toujours vue comme le bas du bas de la hiérarchie des genres picturaux :
« Celui qui fait parfaitement des paysages est au-dessus d’un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles. Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes et sans mouvement (…) »
André Félibien (historien et historien de l’art), Préface des Conférences de l’Académie, 1667

Marchande de fruits, date inconnue, collection privée
Si elle vit de son art, Louise Moillon ne bénéficie donc pas d’une très grande notoriété de son vivant. Toutefois, on trouve quelques grands noms parmi ses commanditaires, comme Charles Ie d’Angleterre.
Son frère Isaac est reçu à l’Académie royale de peinture et sculpture en 1663. Louise, elle, n’aura pas droit à cette reconnaissance, et pour cause : elle souffre de la malédiction de nombreuses artistes femmes, le mariage.
Elle était pourtant précoce (elle réalise sa première oeuvre connue à 19 ans), mais la majorité de son oeuvre date d’avant 1640, année où elle épouse Étienne Girardot de Chancourt. A la fondation de l’Académie royale en 1648, Louise ne peint donc quasiment plus.

Panier de pêches, date inconnue, Los Angeles County Museum of Art
Anna Maria Sibylla merian (Francfort-sur-le-Main, 1647 – Amsterdam 1717)
la peintresse scientifique
Le père d’Anna Maria Sibylla Merian est graveur et éditeur, mais c’est son beau-père, Jacob Marrel, peintre spécialisé dans la nature morte, qui lui apprend la peinture, le dessin et la gravure. Elle commence à peindre ses premiers insectes et plantes d’après nature à 13 ans.
Pour la majorité de ses planches, elle utilise la technique de l’aquarelle sur support de velin, héritage direct de l’enluminure médiévale pratiquée autant par les hommes que par les femmes.
Anna Maria Sibylla Merian est cultivée et très au fait des recherches scientifiques de son temps : alors que le phénomène de « génération spontanée » (l’idée que les insectes naissaient de matières inanimées comme la boue) commence tout juste à être remis en question, elle étudie les chenilles et les papillons pour observer le phénomène de métamorphose. Ses études donnent lieu à son premier livre, qu’elle publie en son nom propre et non en celui de son mari quand elle a 28 ans.

Jacob MARREL, Portrait d’Anna Maria Sibylla Merian,
Kunstmuseum, Basel
A 38 ans, elle déménage avec ses deux filles sous le bras, et 5 ans plus tard elle demande le divorce. Elle se déclare même veuve, alors que son mari est bien vivant, pour retrouver son indépendance plus rapidement. Elle s’installe alors à Amsterdam où elle enseigne la peinture, notamment à Rachel Ruysch qui deviendra une des plus grandes peintres de fleurs. Elle entame également une activité de collectionneuse, profitant de la place des Pays-Bas dans le commerce avec les colonies pour étudier les plantes tropicales.

Planche XXIII de Metamorphosis insectorum Surinamensium, 1705

Planche de Metamorphosis insectorum Surinamensium, 1705
Enfin, à 52 ans, elle entreprend avec une de ses filles un voyage d’exploration au Suriname, le genre d’expédition interdit à une femme, surtout non accompagnée d’un homme. Après 2 mois de voyage en mer, elle reste 21 mois sur place pour étudier la faune et la flore tropicale sud-américaine. Elle ne rentre que parce qu’elle a contracté le paludisme.
De ses notes et dessins de voyage, elle tire son ouvrage le plus important, le Metamorphosis insectorum surinamensium consacré à la reproduction et à la métamorphose des petits organismes (insectes, vers, lézards…) et riche de 60 gravures qu’elle a toutes réalisées.
Elle y nomme les différentes espèces qu’elle a dessinée de leurs noms indigènes et non latin.

Métamorphose d’un papillon de nuit, Planche de Metamorphosis insectorum surinamensium, 1705, BnF, Paris
Peintre et botaniste, les recherches d’Anna Maria Sibylla Merian lui ont valu une reconnaissance scientifique importante de son vivant dans les sciences naturelles. Pourtant, la portée scientifique de son travail est rapidement oubliée après sa mort, et ne sera redécouverte qu’au XXe siècle en Allemagne.
Parmi les honneurs qui lui sont alors rendus, son portrait est reproduit sur les billets en Deutsche Mark et plusieurs espèces d’animaux ont été baptisées en son nom.
ROSALBA CARRIERA (Venise, 1673 – Venise, 1757)
Insta Queen Sauce XVIIIe siècle, option rococo
Rosalba Carriera est la fille d’un avocat et d’Alba Foresti, célèbre dentellière de Venise. Elle-même commence sa carrière dans la dentelle et prend la tête de l’entreprise familiale.
Quand le marché de la dentelle décline, elle se tourne vers le décor des couvercles de tabatières (le tabac à priser est alors à la mode), remporte un joli succès, de là passe à la miniature sur ivoire grâce à une technique qu’elle met au point, la tempera sur ivoire, avant de jeter son dévolu sur de plus grand formats avec les portraits au pastel dans les années 1700-1710.
Déjà renommée pour ses miniatures, ce sont ses portraits qui la rendent rapidement célèbre en Europe.

Portrait d’Horace Walpole, date et localisation inconnus

Portrait d’une jeune femme avec un perroquet, 1730, Chicago Art Institute
En 1720, elle est déjà membre de plusieurs académies italiennes quand elle est invitée en France pour intégrer l’Académie Royale, ce qui est exceptionnel à pleins de niveaux :
X exceptionnel pour une femme non mariée de voyager
X extraordinaire pour une artiste femme d’être invitée dans un autre pays
X incroyable pour une artiste femme d’intégrer l’Académie Royale très fermée au genre féminin

Portrait du dauphin Louis XV, 1720-21, Gemäldegalerie Alte Meister Dresde
A Paris, où elle reste un an, elle vit chez le collectionneur Pierre Croizat qui lui présente tout le gratin artistique, devient amie avec Antoine Watteau, reçoit les éloges du peintre Antoine Coypel, est invitée à la cour pour réaliser le portrait de Louis XV, alors mineur. C’est à ce moment que Rosalba Carriera introduit réellement la technique du pastel en France.
Par son usage innovant du pastel, elle redéfinit également toute une approche du rococo. Plus attachée à capturer le moment qu’à atteindre la perfection formelle, son travail sur les couleurs et les textures est pourtant incroyable. Elle ne réalise pas de dessin préalable pour mieux capturer les expressions de ses modèles.
Dans son Voyage en Italie (1758), le graveur français Charles-Nicolas Chochin écrit :
« Mademoiselle Rosalba s’étant attachée aux talens du pastel et de la miniature, les a portés à un si haut degré de mérite, que non seulement les hommes les plus célèbres dans ce genre ne l’ont point surpassée, mais même qu’il en est bien peu qui puissent lui être comparés ».
Bon après il enchaîne en expliquant qu’il en aurait probablement été autrement si elle avait fait de la peinture d’histoire. On adore quand un artiste reproche à une autre artiste de ne pas maîtriser un genre qu’elle n’a pas le droit d’apprendre.
Surnommée « la reine des peintres », elle réalise des centaines de portraits qui forment comme une immense galerie des membres de la noblesse et de l’aristocratie européennes de la première moitié du XVIIIe siècle, dont le nombre et la taille des perles portées par les modèles féminins témoignent du statut social. Parmi ses plus grands mécènes, on trouve notamment le roi de Pologne et celui du Danemark.
Elle fait du portrait plus qu’une reproduction des apparences : il devient un médium d’expression de soi, une façon de se montrer plus beau, plus fortuné, plus parfait que dans la réalité (Rosalba Carriera serait aujourd’hui une Instagrameuse de talent).

AuToportrait avec un portrait de sa soeur, 1715,
Galerie des Offices, Florence

Portrait de son élève Caterina Barbarigo, v. 1735-1740,
Gemäldegalerie Alte Maister, Dresde
Son atelier vénitien, qui est accolé à ce qui est aujourd’hui le musée Peggy Guggenheim et où elle vit toute sa vie, est un passage obligé pour tout voyageur passant à Venise :
« Carriera (…) avait créé son propre marché en inaugurant un genre nouveau – le portrait au pastel – et ne constituait donc probablement pas une menace directe pour ses collègues masculins à Venise. Il n’est pas impossible qu’ils aient même applaudi à son succès qui drainait vers Venise une riche clientèle dont ils pouvaient bénéficier. »
Ann Sutherland Harris dans le catalogue de l’exposition « Women Artists 1550-1950 »
Rosalba Carriera réalise des autoportraits jusqu’à tard dans sa vie. Un siècle après Sofonisba Anguissola qui est la première peintresse à s’être représentée âgée, elle bénéficie d’une reconnaissance tout aussi suffisante pour se le permettre.
Dans son Autoportrait de 1745, elle a 72 ans, elle est endeuillée par la mort de sa sœur, la dépression qui la suivie toute sa vie est alors particulièrement forte et une maladie des yeux est en train de la conduire vers la cécité. Elle se figure en allégorie de l’hiver, couronnée de laurier mais pleine de mélancolie. Elle passe les dernières années de sa vie aveugle, avant de décéder en 1757.

Autoportrait, 1745, Galerie de l’Académie, Vienne
Son œuvre est effacée peu de temps après sa mort par le néo-classicisme qui a tout fait pour faire oublier le rococo et sa frivolité aristocratique, et qui s’y est d’autant plus appliqué sur l’œuvre d’une femme montée très haut sur l’échelle sociale et de la reconnaissance artistique.