Peintresses de l’exposition « Women artists 1550-1950 »

Marie Laurencin – Hannah Höch – Kay Sage

Cet article reprend une série de posts réalisés sur Instagram consacrée à 30 peintresses parmi celles présentées durant l’exposition « Women artists 1550-1950 » en 1974-1975. Cette exposition itinérante a commencé à Los Angeles puis a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York. Elle était curatée par les historiennes de l’art Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin et est toujours considérée comme un moment essentiel pour les approches féministes et de genre en histoire de l’art.

Marie LAURENCIN (Paris, 1883 – Paris, 1956)
So KawaiI

Marie Laurencin est ce qu’on appelle une « enfant naturelle », c’est-à-dire qu’elle a été conçue en dehors du mariage. Elle est élevée seule par sa mère, employée de maison à Montmartre, avec qui elle vit jusqu’en 1913.
Elle ne connait pas l’identité de son père, et ce n’est qu’en 1905 qu’elle apprend qu’il s’agit du député Alfred Toulet qui rendait régulièrement visite à sa famille durant son enfance.

Elle étudie d’abord la peinture sur porcelaine à la manufacture de Sèvres, puis elle suit des cours de peinture à l’académie Humbert où elle se lie d’amitié avec George Braque.

En 1907, elle rencontre le poète Guillaume Apollinaire par l’intermédiaire de Pablo Picasso. Ils ne se marient pas à cause des objections de la mère d’Apollinaire sur l’illégitimité de Marie Laurencin – alors qu’il est lui-même un « enfant naturel ». 

Autoportrait, 1905, collection privée

Leur relation amoureuse n’est pas saine. Elle inspire de nombreux poèmes à Apollinaire, et il défend son travail à travers son activité de critique d’art, mais en privé il la rabaisse, il est très jaloux et violent et il a un sévère problème d’alcool.

Groupe d’artistes, 1908, Baltimore Museum of Art
De gauche à droite : Pabli Picasso et sa chienne Frika, Marie Laurencin, Guillaume Apollinaire, Fernande Olivier

Elle expose son travail pour la première fois en 1907 à la galerie Sagot et commence rapidement à vendre ses toiles. Elle fréquente le Bateau-Lavoir, le lieu de rencontre de l’avant-garde artistique et littéraire parisienne. En 1908, elle expose avec Jaqueline Marval, puis participe aux expositions cubistes et au Salon des Indépendants.

En 1911, elle rompt avec Apollinaire et entame une relation avec sa modèle Nicole Groult qui durera 40 ans. Nicole Groult, styliste et costumière, importante militante pour les droits des femmes, est la soeur de Paul Poiret et la femme du décorateur André Groult (ça aura son importance pour la suite). Marie Laurencin sera la marraine de sa fille, l’écrivaine et militante féministe Benoîte Groult. 

Portrait de Mademoiselle Chanel, 1923, Musée de l’Orangerie, Paris

En 1914, elle épouse Otto von Waetjen, un peintre allemand aristocrate installé à Paris. Elle devient donc allemande, et quand la guerre est déclarée alors que le couple est en lune de miel, elle est déchue de sa nationalité française et tous ses biens lui sont retirés.
Ils se réfugient alors en Espagne, où Marie Laurencin rencontre plusieurs artistes exilés comme Francis Picabia avec qui elle travaille à la revue Dada 391. Elle y publie des poèmes et des illustrations.

En 1921, divorcée, elle rentre à Paris. Elle commence alors une carrière d’illustratrice à côté de son activité de peintre.

Elle réalise aussi des décors et costumes pour des opéras et dessine des modèles de tissus pour le décorateur André Groult, qui accroche ses tableaux dans les appartements qu’il décore. Elle dessine aussi des modèles de robe pour Paul Poiret, le couturier le plus célèbre de l’époque.
Elle continue également sa production de gravure, commencée dans les années 1900.

Représentée par un marchand parisien et un marchant berlinois, elle vend beaucoup de toiles et expose régulièrement. Son style a toujours été en marge du cubisme – elle est jugée trop figurative par ses amis des avant-gardes – mais elle s’en détache complètement dans l’entre-deux-guerres en se dirigeant vers une peinture onirique et rêveuse. Elle devient très célèbre dans les cercles mondains, ses portraits, notamment ses portraits de femmes, sont très demandés.

Durant la 2e Guerre Mondiale, ses amitiés avec plusieurs artistes allemands qui sont maintenant en France sous l’uniforme de l’occupant et ses tentatives d’aider son ami allemand Max Jacob lui valent d’être internée à Drancy au moment de la Libération et d’échapper de peu au sort des tondues. Traumatisée, elle est recueillie par Marguerite Duras à sa sortie.
En 1954, elle adopte sa gouvernante – et peut-être sa maîtresse – Suzanne Moreau, à qui elle lègue tout ses biens à sa mort en 1956.

Son travail est très célèbre au Japon depuis les années 1990, le seul musée qui lui est dédié se situe d’ailleurs à Tateshina. En France, elle est redécouverte depuis seulement quelques années.

Portrait de Marcelle Dormoy, 1937, collection privée

Hannah HÖCH (Gotha, 1889 – Berlin, 1978)
Le collage expressionniste

Johanna Höch nait dans une famille de la bourgeoisie provinciale allemande. Dès son adolescence, elle veut faire de l’art son métier. Malgré les protestations de son père – qui lui enseigne le jardinage – elle s’inscrit à l’Ecole des Arts Décoratifs de Berlin en 1912. Elle y apprend différentes techniques artisanales comme la peinture sur verre et le soudage, mais aussi la gravure et la calligraphie. L’école ferme en 1914 quand la guerre est déclarée, et Hannah Höch rentre à Gotha travailler pour la Croix Rouge.

En 1915, elle retourne à Berlin et rencontre Raoul Hausmann, qui est alors un jeune peintre et poète – et qui est marié – avec qui elle a une relation amoureuse pendant 7 ans.
En réaction à la corruption en Allemagne pendant et après la 1e Guerre Mondiale, elle oriente rapidement ses créations vers un esprit de critique satirique. Hannah Höch n’a pas peur d’utiliser les visages de membres du gouvernement allemands ou de l’élite artistique Berlinoise dans ses collages satiriques à portée polémique.

Hannah Höch et Raoul Hausmann rejoignent Richard Huelsenbeck, George Grosz, John Heartfield, Johannes Baader et Walter Merhing en 1918 et créent le mouvement Dada de Berlin. Elle choisit alors « Hannah Höch » comme nom d’artiste.

Autoportrait, vers 1920-1920, Detroit institute of art

Couper au couteau de cuisine à travers le bide à bière de la République de Weimar, 1919

Dada, c’est un mouvement artistique et intellectuel mouvant qui partage un état d’esprit à la fois contestataire, satirique, absurde, désabusé et agressif. Un de ses principes fondateurs est la remise en cause systématique de toutes les conventions et contraintes, qu’elles soient artistiques ou politiques. Dada se développe en même temps en Allemagne, en Suisse et aux Etats-Unis.
Elle est la seule femme réellement intégrée à Dada Berlin, même si plusieurs artistes femmes gravitent autour du mouvement.

Strauss (Autruche), 1929

Son moyen d’expression préféré ? Le photomontage. Elle est l’une des pionnières de ce genre, au même titre que Raoul Hausmann. Elle réalise un premier collage abstrait avec de la dentelle et du papier en 1917, puis Hausmann et elle commencent à expérimenter le collage à partir de photographies qu’ils ont prises lors de vacances au bord de la Mer Baltique. Ils y ajoutent rapidement des morceaux de journaux, de magazines et de cartes postales.

En 1919, elle participe à la première exposition Dada et à la Foire Internationale Dadaïste l’année suivante, malgré le refus de George Grosz et de John Heartfield d’exposer une femme. Elle collabore aussi avec Kurt Schwitters et Hans Arp, des artistes proches de Dada.

Série Aus einem ethnographischen Museum (Issu d’un musée ethnographique), 1930

En 1922, elle rompt avec Raoul Hausmann et avec Dada.
A côté des collages, elle continue à peindre des aquarelles et des huiles abstraites. Depuis 1916, elle travaille aussi pour un éditeur de journaux et dessine des motifs de tricot et de broderie pour vivre.

Ses oeuvres partent souvent d’objets et d’expériences du quotidien à partir desquels elle crée des photomontages lyriques et plein d’imagination. Elle utilise comme base des photos en noir et blanc jusqu’en 1947, puis passe à des photos couleur.

Dans les années 1920, ses préoccupations s’orientent vers la place de la femme dans la société ; elle dénonce le machisme et la misogynie de la République de Weimar et explore les thématiques de l’identité féminine et du rôle social des femmes. Les objets du quotidien associés au féminin, comme les rubans ou les boutons, deviennent grotesques et menaçants dans ses collages.
Ils parodient la vie bourgeoise et lui permettent également de déconstruire les notions de race et d’identité sexuelle.

Tamer (Dompteuse), 1930

Modenschau (Défilé de mode), 1935

En 1926, elle s’installe quelques années avec sa compagne Til Brugman à La Haye, avant de revenir à Berlin.
En 1939, son oeuvre est classée parmi l’art dégénéré par les nazis et elle est contrainte de se retirer à la campagne. Elle n’a plus le droit d’exposer, mais elle continue son oeuvre et se consacre aussi à créer un somptueux jardin constitué de plantes sauvages. Ce jardin lui permet de se nourrir, mais aussi de cacher parmi les feuillages des caisses entières d’œuvres de Raoul Hausmann, de Hans Arp, de Kurt Schwitters et les siennes, les sauvant ainsi de la destruction par le régime.

Kay Sage (Albany, New York, 1898 – Woodbury, Connecticut, 1963)
La surréaliste

Auteur inconnu, Portrait de Kay Sage dans son atelier, 1944

Katherine Linn Sage nait aux Etats-Unis dans une famille très aisée. Son père est sénateur.
Elle passe son enfance à voyager à travers l’Europe avec sa mère ; son éducation est confiée à des gouvernantes dans les villes où elles passent. A 15 ans, elle parle couramment anglais, français et italien.

Elle n’est scolarisée aux Etats-Unis que durant les deux premières années de la 1e Guerre Mondiale, puis devient traductrice au bureau de la censure à Washington en 1917-1918.

Dans les années 1920, elle étudie à l’École des Beaux-Arts de Rome, où elle rencontre le prince italien Ranieri di San Faustino qu’elle épouse en 1925. S’en suivent 10 ans d’ennui mortel dans les cercles de la haute société ; elle compare la vie mondaine à « un marais stagnant ».
Elle divorce en 1935 et s’installe à Paris qui est alors en plein boum du surréalisme pour lancer sa carrière en tant qu’artiste. Elle obtient sa première exposition personnelle à Milan en 1936. Son travail évolue alors de l’abstraction vers le surréalisme.

A Paris, son travail est remarqué par Yves Tanguy (peintre surréaliste) et André Breton (écrivain et théoricien du surréalisme). Elle fréquente les surréalistes mais elle refuse d’intégrer officiellement le groupe, qu’elle qualifie de « boy’s club ».

En 1939, quand la Deuxième Guerre Mondiale éclate, elle s’installe aux Etats-Unis définitivement et aide ses amis artistes à obtenir des visas d’émigration. Elle est rejointe par Yves Tanguy qu’elle épouse l’année suivante.
En 1941, le couple s’installe dans une ferme du Connecticut où chacun a son atelier et qui devient un lieu de rencontre pour les artistes exilés aux Etats-Unis.

Unicorns came down the sea, 1948, Philadelphia Museum of Art

Kay Sage expose régulièrement aux Etats-Unis et bénéficie d’une certaine reconnaissance dans le monde de l’art. Cependant, elle reste toujours dans l’ombre d’Yves Tanguy. Si les deux artistes s’influencent mutuellement, leurs œuvres sont pourtant très différentes.
Kay Sage crée des formes parfois architecturales parfois biomorphiques, peintes avec un réalisme minutieux. Son dessin anguleux et sec développe des ambiances mystérieuses et mélancoliques, voire carrément désolées.

Elle participe aussi à différentes expositions surréalistes, notamment la toute dernière à la galerie Maeght à Paris

Page 49, 1950, Williams College Museum of Art, Williamstown

en 1947, avec notamment Jean Arp, Marcel Duchamp et Roberto Matta.

En 1955, Yves Tanguy meurt brutalement. Elle arrête la peinture peu de temps après pour se consacrer à établir le catalogue raisonné de l’œuvre de son mari (c’est-à-dire l’inventaire complet de son travail à des fins de promotions). Une fois ce catalogue réalisé, elle se suicide en 1963.
Les cendres d’Yves Tanguy et de Kay Sage sont répandues dans la baie de Douarnenez, près de Locronan (le village d’origine de la famille d’Yves Tanguy) par le galeriste Pierre Matisse, conformément au testament de Kay Sage.

Tomorrow is never, 1955, MET Museum, New YOrk