Peintresses de l’exposition « Women artists 1550-1950 »

Paula Modersohn-Becker – Vanessa Bell – Natalia Gontcharova

Cet article reprend une série de posts réalisés sur Instagram consacrée à 30 peintresses parmi celles présentées durant l’exposition « Women artists 1550-1950 » en 1974-1975. Cette exposition itinérante a commencé à Los Angeles puis a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York. Elle était curatée par les historiennes de l’art Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin et est toujours considérée comme un moment essentiel pour les approches féministes et de genre en histoire de l’art.

Paula MODERSOHN-BECKER (Dresde, 1876 – Worpswede, 1907)
De la communauté et de la maternité

Paula Becker nait dans une famille cultivée, polyglotte et adepte de voyage qui fréquente les cercles artistiques allemands. Issue de la noblesse par sa mère, la famille appartient cependant à la classe moyenne.

Paula Becker s’intéresse à la peinture dès son adolescence et elle suit des cours de dessin à Londres puis à Brême où vit sa famille. En parallèle, elle passe le diplôme d’institutrice.
En 1896, elle part à Berlin pour aller à l’Ecole de dessin et de peinture de l’association des femmes artistes et amateurs d’art. Parmi ses professeurs, il y a Käthe Kollwitz ou encore Jeanne Bauck.

A sa sortie de l’école, en 1898, elle s’installe à Worpswede, au nord-ouest de l’Allemagne. C’est une communauté d’artistes qui existe depuis 1889 et qui est inspirée de l’école de Barbizon, colonie d’artistes impressionnistes qui s’était établie dans la forêt de Fontainebleau pour travailler en plein air, au plus près des paysages que les artistes peignaient.

Autoportrait aux camélias, 1907, Musée Folkwang, Essen

A Worpswede, l’idée est aussi d’avoir un contact direct avec la nature afin de développer de nouvelles esthétiques picturales.
Cette forte présence artistique a marqué cette petite ville de 9000 habitants jusqu’à aujourd’hui puisque 130 artistes y vivent toujours.

Canal dans le marais avec bateaux à tourbe, vers 1900, collection particulière

A Worpswede, Paula Modersohn-Becker rencontre notamment le poète Rainer Maria Rilke, la sculptrice Clara Westhoff et les peintres Heinrich Vogeler et Otto Modersohn, qu’elle épouse en 1901. Elle y développe son esthétique marquée par la simplification des formes qui s’y inspire de traditions nordiques autant que de la Renaissance allemande.

Elle trouve cependant que la communauté de Worpswede ne suffit pas à nourrir son inspiration, que les artistes y manquent d’audace. Durant un premier séjour à Paris en 1900, elle découvre avec enthousiasme les artistes nabis. Puis lors d’un 2e passage en 1903, elle se passionne pour Paul Gauguin et Paul Cézanne. L’oeuvre de Paula Modersohn-Becker mêle toutes ces influences tout en conservant un style très personnel.

Dans les années 1905, elle inaugure un genre nouveau, l’autoportrait féminin nu. Elle s’intéresse aussi de plus en plus à la thématique de la maternité. A propos de ces œuvres, l’historienne de l’art Linda Nochlin note :

« Modersohn-Becker, dans ses extraordinaires œuvres tardives en particulier (Maternité, 1906), conçues sans doute alors qu’elle-même étaient en espérance de maternité, fait de la mère un être qui transcende le temps et l’espace, sombre et impersonnelle déesse du nourrissement, paradoxalement animale et attachée à la glèbe, dans une ignorance totale des contingences historiques et de l’ordre social »

 Maternité, 1906, Von der Heydt-Museum, Wuppertal

Elle meurt des suites de son accouchement, peu de temps après avoir donné naissance à sa fille Mathilde.
Lors de son décès, elle est complètement inconnue – elle n’a vendu que 2 toiles de son vivant – alors que l’on reconnait aujourd’hui le rôle de ses recherches dans l’épanouissement de l’expressionnisme, notamment de l’expressionnisme allemand, quelques années plus tard.
Sa carrière artistique est courte mais très riche : 14 ans durant lesquels elle produit 750 toiles, un millier de dessins et quelques estampes.
L’édition de son journal en 1917 la fait temporairement sortir de l’ombre, mais ce n’est que récemment que le monde de l’art commence à s’intéresser à son travail.

« Je sais que je ne vivrai pas très longtemps. Mais est-ce si triste ? Une fête est-elle meilleure parce qu’elle est plus longue ? Ma vie est une fête, une fête courte et intense. […] Et si l’amour me fleurit encore un peu avant de s’envoler, et me fait réaliser trois bonnes peintures dans ma vie, je partirai volontiers, des fleurs aux mains et aux cheveux. »

Mère et Enfant, 1906-1907, Musée Paula Modersohn-Becker, Brême

Vanessa BELL (Londres, 1879 – Charleston Farmhouse – Sussex, 1961)
La soeur prodige

Vanessa Stephens nait dans une famille londonienne aisée très proche des cercles artistiques. Sa mère, Julia Jackson, est l’un des modèles favoris des peintres préraphaélites. Elle est aussi la nièce d’une pionnière de la photo, Julia Cameron – dont il faut absolument qu’on reparle un jour. Son père, Sir Leslie Stephens, est écrivain. Vanessa Stephens est la sœur aînée de Virginia Woolf.

A la mort de leur parents, Vanessa Bell, Virginia Woolf et leurs deux frères s’installent dans le quartier londonien de Bloomsbury.
Ils sont à l’origine du « Bloomsbury Group », un groupe d’artistes, d’intellectuels et d’universitaires anglais qui a commencé par se réunir tous les jeudi soir chez les 4 frères et sœurs.
Parmi les membres de ce club informel, il y a l’économiste John Maynard Keynes, le critique d’art Roger Fry ou l’écrivain E. M. Forster. Au sein du groupe, Vanessa Bell s’occupe des soirées artistiques.

Autoportrait, vers 1915, Paul Mellon Centre, Londres

Vanessa Bell commence par étudier l’art auprès du peintre Sir Arthur Cope à l’école d’art de South Kensington, puis elle intègre l’école d’art de la Royal Academy.
En 1910, elle découvre le post-impressionnisme aux Grafton Galleries à Londres (groupement hétérogène d’artistes qui rompent avec l’impressionnisme et ouvrent la voie aux avant-gardes artistiques : Cézanne, van Gogh, Gauguin, Vuillard, Sérusier…).
Cette découverte remet complètement en question sa vision de l’art Vanessa Bell et ouvre sa pratique à de nouvelles recherches. Ses formes se simplifient, ses couleurs deviennent plus vives… Elle fait partie des premier.es artistes anglais.es à expérimenter l’abstraction, influencée dans sa peinture par son intérêt grandissant pour les arts décoratifs.

Une conversation, 1913, The Courtauld, Londres

Nature morte au coin de la cheminée, 1914, Tate, Londres

Elle épouse le critique d’art Clive Bell en 1907. Les théories de ce dernier sur l’importance de la forme et de la couleur sur le sujet, l’influencent durablement. Elle a deux enfants avec lui, et de nombreuses relations extraconjugales. Le couple se sépare en bon terme vers 1914.
En 1916, elle s’installe dans une ferme du Sussex avec son amant le peintre Duncan Grant et son ami David Garnett, futur mari de la fille qu’elle a avec Duncan Grant en 1918, Angelica. Elle cohabite avec Duncan Grant toute sa vie.

Dessin pour Omega Workshops Fabric, 1913, Yale Center for British Ar

En 1913, elle ouvre les Omega Workshops avec Duncan Grant au Fitzroy Square, à Londres, où vit aussi Virginia Woolf. C’est une manufacture de tissu et de mobilier qui emploie des artistes – surtout des peintres – à la journée pour créer des modèles. Les Omega Workshops proposent aussi des services d’aménagement et d’architecture d’intérieur.
En 1914, elle y ajoute une section dédiée à la mode. Elle réalise aussi les couvertures des livres pour les éditions Hogarth Press fondées par Virginia Woolf.

Doucement redécouvertes depuis les années 1970, les œuvres de Vanessa Bell apparaissent aujourd’hui comme des contributions précoces à l’abstraction.

Natalia GONTCHAROVA (Toula, 1881 – Paris, 1962)
Avant-garde Russe

Née dans une famille de la petite noblesse russe, Natalia Gontcharova quitte la région rurale de Toula, dans le centre de la Russie, pour faire ses études à Moscou en 1897. Elle étudie la sculpture et la peinture aux Beaux-Arts de Moscou de 1898 à 1903.
Elle y rencontre le peintre Mikhail Larionov (1881-1964) qui devient son compagnon et son collaborateur le plus proche.

Dès ses débuts, elle est très intéressée par l’art populaire russe, notamment les icônes et les loubki, de petites estampes populaires.

En 1906, le couple expose au Salon d’Automne à Paris, dans la section russe organisée par le chorégraphe Serguei Diaghilev.

Autoportrait avec des lys jaunes, 1907

En 1910, elle fait partie des membres fondateurs du groupe de peintre moscovites « Valet de carreau ». Ce groupe s’appuie sur la découverte du post-impressionnisme français, notamment Cézanne, du fauvisme et de l’expressionnisme allemand, donc des différentes avant-gardes de l’époque, pour ouvrir ses recherches en peintures. Parmi les membres du Valet de Carreau, on croise Malevitch, Lioubov Popova, Alexandra Exter…
Au moment de l’exposition fondatrice du groupe en décembre 1910, le peintre Ilia Répine montre son mépris envers ces nouvelles recherches en crachant dans la salle d’expo et en ressortant immédiatement.

Khorovod (Danse russe), 1910, Serpukhov Museum of Art and History

Cependant, Natalia Gontcharova quitte rapidement le mouvement, estimant qu’il s’inspire trop de l’art français et pas assez de l’art populaire russe. Pour elle, le mélange des influences est essentiel et l’une ne doit pas prendre le pas sur les autres : elle puise autant dans le futurisme que dans l’art byzantin, dans le cubisme que dans la broderie traditionnelle russe ou l’icône.
En 1912, avec Larionov, elle monte l’exposition « Queue de l’âne » avec des œuvres inspirées du néo-primitivisme russe et oriental.
En 1913, son rôle de cheffe de file de l’avant-garde russe se confirme avec ses toiles centrées sur des formes et des couleurs simples dans le but de rendre visible la vibration de la matière. Elle théorise ses recherches dans son manifeste du « rayonnisme », qui a un impact important sur la suite des recherches artistiques en Russie.

Chats, 1913, Solomon R. Guggenheim Museum

En 1913 toujours, une grande rétrospective rassemblant plus de 700 œuvres lui est consacrée à Moscou. Elle est la première femme à exposer des tableaux de nus en Russie – ce qui lui vaut d’être accusée de blasphème
En parallèle, elle crée aussi des décors et des costumes pour les Ballets russes de Diaghilev puis pour d’autres chorégraphes tels que Stravinsky.
Soutenue par Sonia et Robert Delaunay, elle expose au Salon des indépendants de 1914 avec quelques autres artistes russes.

Etude pour le décor de l’opéra Le Coq d’or, 1913-1914

En 1918, Larionov et Gontcharova s’installent définitivement en France – ils seront naturalisés français en 1939. S’en suit une grande période de pauvreté et leurs œuvres tombent un peu dans l’oubli. Ils ne recommencent à exposer qu’en 1954, et se marient l’année suivante.
Une grande rétrospective leur est consacrée à Londres en 1961, l’année précédant la mort de Natalia Gontcharova.