Peintresses de l’exposition « Women artists 1550-1950 »
Rosa bonheur – Mary Cassatt – EliZabeth Thompson
Cet article reprend une série de posts réalisés sur Instagram consacrée à 30 peintresses parmi celles présentées durant l’exposition « Women artists 1550-1950 » en 1974-1975. Cette exposition itinérante a commencé à Los Angeles puis a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York. Elle était curatée par les historiennes de l’art Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin et est toujours considérée comme un moment essentiel pour les approches féministes et de genre en histoire de l’art.
Rosa BONHEUR (Bordeaux, 1822 – Thomery, 1899)
La plus célèbre peintre animalière
Le père de Rosa (Rosalie) Bonheur, Raymond Bonheur, est un paysagiste et professeur de dessin bordelais. Sa mère, Sophie Marquis, est une musicienne et une pianiste remarquée. La famille quitte Bordeaux pour Paris quand Rosa a 7 ans.
Raymond Bonheur est un fervent républicain et un grand admirateur de l’œuvre de George Sand, admiration qu’il transmet à Rosa Bonheur. C’est aussi un saint-simonien très (trop) convaincu qui quitte femme et enfants pour rejoindre un groupe de saint-simoniens pendant 2 ans, alors que la famille est déjà en difficulté financière. Sa mère meurt un an après le retour de son mari, en 1833.
Deux des frères et sœurs de Rosa Bonheur sont aussi peintres animaliers, un autre frère est sculpteur. Toutes et tous ont été formé.es par leur père.
En plus des leçons dans l’atelier de son père, Rosa Bonheur se rend régulièrement au bois de Boulogne, encore sauvage, pour dessiner les animaux sur le vif. Elle a alors 10 ans. Durant son adolescence, elle dissèque des organes d’animaux donnés par un boucher pour mieux comprendre leur anatomie.
A 14 ans, elle rencontre Nathalie Micas, qui partagera sa vie durant 58 ans.
A 17 ans, Rosa Bonheur participe aux revenus du foyer familial en vendant des copies de maîtres qu’elle réalise au Louvre. Deux ans plus tard, elle expose ses tableaux animaliers pour la première fois au Salon.

édouard DUBUFE, Portrait de Rosa Bonheur, 1849, Château de Versailles
Car la spécialité de Rosa Bonheur, c’est de peindre des animaux.
Pour chaque race d’animal qu’elle représente, elle se documente longuement et réalise de plein de croquis. A chaque voyage, elle réalise de nombreuses études qu’elle conserve ensuite et dans lesquelles elle peut piocher des années plus tard pour un tableau.

Labourage nivernais, 1849, Musée d’Orsay
Elle s’affranchit des conventions en utilisant les formats des prestigieuses peintures d’histoire pour représenter des scènes de labours. Elle fait preuve d’une maîtrise technique impressionnante et choisit de l’appliquer à un genre peu valorisé, la peinture animalière, auquel elle va donner ses lettres d’honneur. Sa pratique est caractérisée par une précision et un réalisme quasi photographiques.
En 1852 elle obtient l’autorisation officielle du préfet de police de porter des vêtements d’hommes afin de pouvoir se rendre dans les marchés aux bestiaux et les foires aux chevaux pour les dessiner d’après nature. Elle renouvelle ensuite cette « permission de travestissement » tous les 6 mois durant toute sa vie

Le marché aux chevaux, 1852, Metropolitan Museum of Art, New York
Sa vie est couronnée de succès et de récompenses
Elle reçoit la médaille d’or du Salon en 1848, ce qui marque la confirmation de sa réputation auprès des critiques et des collectionneurs, et le début des commandes d’Etat.
En 1853, elle présente Le marché aux chevaux au Salon, qui lui vaut un « C’est vraiment une peinture d’homme, nerveuse, solide, pleine de franchise » de la part du critique Henry de La Madelène. Le tableau est acheté par un Américain pour l’équivalent d’un million d’euros actuels 2 ans plus tard
En 1865, elle est la première femme artiste à recevoir la légion d’honneur des mains de l’Impératrice Eugénie.
A partir de 1853, elle se retire dans une grande propriété entourée d’animaux près de la forêt de Fontainebleau, le château de By. Elle se tient scrupuleusement à l’écart des courants artistiques et ne participe pas aux discussions de son temps. Son travail est apprécié autant par le camp romantique que par le camp classique qui se font habituellement la guerre.
Dans les derniers mois de sa vie, elle prend sous son aile une jeune peintre américaine, Anna Klumpke, dont elle fait sa légataire universelle. Après la mort de Rosa Bonheur, celle-ci essaiera de perpétuer sa mémoire et son travail qui sont vite balayés par les avant-garde artistiques qui arrivent au galop.

Le Colonel William F. Cody (Buffalo Bill), 1889,
Whitney Museum of American Art, New York
Mary CASSATT (Pittsburgh, 1844 – Mesnil-Théribus, 1926)
La plus française des américaines
Mary Cassat nait dans une famille américaine bourgeoise avec laquelle elle réalise plusieurs voyages en Europe durant son enfance.
Contre l’avis de son père, qui disait qu’il préférait la voir morte plutôt qu’artiste, elle commence des études artistiques à Philadelphie. Comme de nombreux artistes américains de sa génération, elle les poursuit ensuite à Paris, où elle est notamment l’élève de Jean-Léon Gérôme.
Elle expose pour la première fois au Salon en 1868 ; elle y montre des œuvres qu’elle signe sous le nom de sa grand-mère, Stevenson, pour ne pas entâcher la réput’ de son paternel.
Après être repassée par Pittsburgh, Parme, Madrid et Anvers (elle voyage seule, au mépris les conventions de l’époque), elle s’installe définitivement à Paris en 1874.
Elle ressent une déception grandissante envers l’art académique et le monde de l’art classique, et bien qu’elle admire beaucoup les peintres du passé elle est aussi très intéressée par les recherches artistiques de son temps.

Autoportrait, 1878, Metropolitan Museum of Art, New York
Et en 1877, c’est la goutte d’eau : le Salon refuse d’exposer son œuvre. Edgar Degas, qui a remarqué son travail, l’invite à rejoindre le groupe des « indépendants » = les impressionnistes.
Après moultes hésitations, Mary Cassatt finit par exposer avec eux en 1879. Elle y montre Petite fille dans un fauteuil bleu.

Petite Fille dans un fauteuil bleu, 1878, National Gallery of Art, Washington
Plus tard, elle déclare :
« Je pouvais enfin travailler dans une absolue indépendance, sans avoir à me soucier de l’opinion d’un jury. J’avais enfin trouvé mes vrais maitres. J’admirais Manet, Courbet et Degas. Je détestais l’art conventionnel – je commençais à vivre »
Elle continue de fréquenter les impressionnistes et à exposer au Salon des indépendants tout en participant aux recherches du groupe. Elle travaille aussi à leur reconnaissance en leur présentant Louisine Elder, son amie d’enfance et épouse d’Henry Havemayer, riche industriel qui va collectionner les œuvres impressionnistes et les diffuser aux Etats-Unis.
A partir de 1886, quand les impressionnistes commence à être la cible de la jeune génération d’avant-garde, elle remet en question son approche plutôt que de refuser d’écouter les critiques comme le font d’autres artistes du groupe.
Son style évolue alors vers des compositions plus simples, plus centrées sur le dessin et la ligne, dans lesquelles on peut voir l’influence symboliste et nabi.

Baiser maternel, 1891, National gallery of art, Washington

Femme à la toilette, 1891, Brooklyn Museum, New York
C’est à cette période, en 1890, qu’elle découvre la gravure japonaise au détour d’une exposition. Les estampes d’Utamaro et de Toyokuni vont particulièrement la marquer, et elle commence à elle-même réaliser des gravures dont les lignes épurées sont influencées par l’esthétique japonaise. Elle revoit cependant la technique de façon à n’utiliser que 2 planches au lieu de 4 pour que le prix de ses oeuvres soit plus abordables :
« J’aime faire des gravures en couleurs et j’espère que Durand-Ruel [son marchand] mettra les miennes sur le marché de l’art à des prix raisonnables car rien, je crois, n’inspirera davantage le goût pour l’oeuvre d’art que la possibilité de l’avoir chez soi »
Mary Cassatt est notamment connue pour ses nombreuses représentations de scènes de maternité. Après des siècles de représentation de ce sujet par des hommes, majoritairement dans un cadre religieux, elle cherche à en renouveler l’iconographie. On reste dans une approche traditionnelle de mères aimantes prenant soin de leurs enfants, cependant elle propose parmi les premières représentations d’allaitement non religieuses. Certaines mères sont aussi en train d’enseigner la lecture à leur progéniture.
Convaincue de l’importance de l’accès à l’éducation pour les femmes, celles qu’elle représente sont souvent en train de lire.
Ce sont ses mères à l’enfant qui renforcent son succès dans les années 1900. Après ça, sa vue baisse rapidement et une opération ratée de la cataracte l’oblige à arrêter de peindre en 1914.

La leçon de lecture, vers 1901, Dallas Museum of Art
Elizabeth Thompson (Lausanne, 1846 – Comté de Meath, 1933)
Peintures guerrières
Vous vous souvenez de tout ce que je vous ai raconté sur les femmes et la peinture d’histoire, comment elles n’y avaient pas accès, que leurs tentatives étaient moquées par la critique, tout ça tout ça ?
Et bien je vous présente Elizabeth Thompson, alias Lady Butler, la première peintre célèbre grâce à… ses peintures d’histoire. Avec une petite vibe Braveheart sauce XIXe et XXe siècle à la fois étonnante et intrigante.
Elisabeth Thompson est née à Lausanne de riches parents anglais avec lesquels elle passe son enfance à voyager à travers l’Europe. Sa mère est une peintre et pianiste remarquée. Son père, connaisseur cultivé, tient à ce que ses filles reçoivent une éducation de qualité. Sa soeur est Alice Meynelle, écrivaine et critique réputée, militante féministe, socialiste et catholique.
Elle étudie l’art à Florence et à Rome avant d’entrer à la South Kensington School of Art à Londres en 1866 puis au Royal College of Arts. Elle peut étudier le nu féminin grâce à des leçons particulières.

Autoportrait, date inconnue
Grande admiratrice des peintres français Edouard Detaille et Ernest Meissonnier qu’elle découvre à Paris en 1870 et qui lui inspirent de se tourner vers la peinture de guerre, son œuvre se dirige rapidement vers le genre militaire.

Ernest Meissonier, Campagne de France – 1814, 1864,
Musée d’Orsay

édouard Detaille, on relève un blessé, 1880-1882, Musée d’Orsay
Dès sa deuxième exposition à la Royal Academy, en 1874, son tableau Appel après un combat en Crimée est tant remarqué qu’il a un gardien à lui seul pour le protéger. La reine Victoria le veut absolument, et son premier acheteur est obligé de le lui revendre.
Elizabeth Thompson se fait donc une spécialité des représentations des combats militaires anglais. Elle choisit en général la scène juste avant la bataille, avant que le combat ne devienne sanglant. Sa maitrise technique et son perfectionnisme dans tous les détails font rapidement grimper sa renommée. Elle peint des combats du passé, en particulier des guerres napoléoniennes, mais aussi contemporains, notamment durant la Première Guerre Mondiale.

Appel après un combat, en Crimée, 1874, Royal Collection
A 31 ans, elle épouse Sir William Francis Butler, Très Honorable colonel de l’armée britannique. Ils voyagent dans tout l’Empire britannique. Entre les voyages et les 6 enfants qu’ils ont ensemble, la carrière d’Elizabeth Thompson ralentit. D’autant plus que, étonnement, son mari a des opinions anti-coloniales et anti-empire qui l’influencent un peu.
En 1879, elle est presque élue à la Royal Academy of Arts, mais le Conseil décréta que les statuts ne prévoyaient pas l’élection des femmes – alors qu’Angelica Kauffman et Mary Moser avaient fait partie des membres fondateurs, je le rappelle…

28e régiment à Quatre Bras, 1875, National Gallery of Victoria, Melbourne
Non seulement ses tableaux sont construits comme des scènes de films, mais pour les réaliser elle réalise un vrai travail de metteuse en scène avant la lettre : sa fortune familiale lui permet en effet de rassembler jusqu’à 300 personnes pour figurer une scène de bataille sous les coups de canon, engager des cascadeurs qui tombent des dizaines de fois de leurs chevaux pour bien saisir le mouvement… Pour Le 28e régiment à Quatre Bras, elle achète un champ de seigle prêt à faucher et le fait piétiner par une troupe d’enfant pour mieux reproduire le décor.
Elle recherche d’anciens uniformes ou les fait recréer, prend pour modèle des personnes ayant réellement combattu dans les batailles en question, interroge des vétérans…
