Peintresses de l’exposition « Women artists 1550-1950 »
SUZANNE VALADON – KÄTHE kollwitz – gwen john
Cet article reprend une série de posts réalisés sur Instagram, consacrée à 30 peintresses parmi celles présentées durant l’exposition « Women artists 1550-1950 » en 1974-1975. Cette exposition itinérante a commencé à Los Angeles puis a voyagé à Austin, à Pittsburgh et à New York. Elle était curatée par les historiennes de l’art Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin et est toujours considérée comme un moment essentiel pour les approches féministes et de genre en histoire de l’art.
Suzanne valadon (Bessines-sur-Gartempe, 1865 – Paris, 1938)
l’autodidacte limousine qui ne se laisse pas marcher sur les piedS
Née Marie-Clémentine, Suzanne Valadon doit son « surnom » à l’artiste Henri de Toulouse-Lautrec.
Elle est née d’un père inconnu et d’une mère blanchisseuse dans la petite commune de Bessines-sur-Gartempe, dans le Limousin.
Elle reçoit quelques rudiments d’éducation scolaire mais fait preuve d’un esprit affuté.
En 1876, sa mère et elle déménagent dans le quartier de Montmartre, à Paris, alors très pauvre. Elle a 11 ans et commence à travailler, enchaînant les petits emplois et étant tour à tour serveuse de café et acrobate de cirque.
A la fin de son adolescence, elle gagne sa vie en tant que modèle pour les peintres qui habitent le quartier : Puvis de Chavannes, Renoir, Toulouse-Lautrec…
Très rapidement, elle commence à dessiner en appliquant les conversations qu’elle entend en posant. Son travail tape rapidement dans l’œil d’Edgar Degas, avec qui elle sera amie toute sa vie.
Elle passe à la peinture au début des années 1890. Elle a également une production importante de gravures, pour lesquelles elle utilise le matériel disponible dans l’atelier de Degas.

Autoportrait, 1898, Museum of Fine Arts, Houston
En 1896, elle épouse un négociant, Paul Moussis, qu’elle quitte quelques années plus tard pour le peintre André Utter – qu’elle épousera ensuite en 1914. L’enfant qu’elle a eu en 1883, Maurice Utrillo, tombe dans l’alcoolisme à cette même époque, et elle l’initie à la peinture pour le tirer de cette addiction. Il deviendra également un peintre reconnu, et exposera plusieurs fois aux côtés de sa mère et d’André Utter.

Le Lancement du filet, 1914, Musée des Beaux-Arts de Nancy
Energiques, franches et pleines de motifs magnifiques, les toiles et les gravures de Suzanne Valadon témoignent à la fois de son attention à ce que pouvaient faire des peintres dont elle était proche mais aussi d’une farouche indépendance stylistique.
Elle peint des portraits et des natures mortes mais aussi des nus. Elle est notamment la première artiste à peindre des hommes nus dans de grandes toiles monumentales.

Adam et Eve, 1909, Centre pompidou, Paris
Elle est aussi la première à peindre son compagnon, André Utter nu, de face.
Elle va encore plus loin en se représentant nue à ses côtés.
Cependant, pour pouvoir exposer la toile, elle est obligée de masquer le s*xe de son futur mari – pas le sien, l’œil des spectateurs étant bien habitué à voir des organes féminins.
Quand elle peint des femmes, elles sont loin des représentations idéalisées de ses collègues. Elle demande aux femmes de son entourage de poser pour elle et les représente dans des scènes quotidiennes où on lit à la fois de la tendresse et de la lassitude.
Elle peint aussi des femmes nues, posant sur elle un regard sans érotisme et proposant parmi les premières représentations de femmes peintes par une femme.

La Chambre bleue, 1923, musée national d’Art moderne, Paris
Malgré ses participations à des expositions collectives, Suzanne Valadon ne commence être reconnue que durant sa cinquantaine. Elle bénéficie de sa première exposition personnelle en 1911 et de sa première monographie en 1923. Son travail commence à être exposé en dehors de la France dans les années 1930.
Si vous voulez voir son atelier, c’est très simple : il vous suffit d’aller au musée de Montmartre!
Käthe KOLLWITZ (Königsberg, 1867 – Moritsburg, 1945)
De la gravure et de l’engagement politique
Käthe Schmidt nait à Königsberg en Prusse-Orientale, aujourd’hui Kaliningrad en Russie. Sa famille remarque très vite ses capacités artistiques et l’encourage dans cette voie. Elle commence sa première formation à 14 ans auprès d’un graveur de sa ville, puis continue ses études à Berlin. Elle travaille également à Munich avant d’épouser, en 1891, Karl Kollwitz, un médecin des quartiers pauvres de Berlin.

Autoportrait, 1901, Käthe Kollwitz Museum, Cologne
En 1904, étudie la sculpture à l’Académie Julian à Paris pendant un an. En 1907, elle part vivre un an à Florence pour se perfectionner.
Revenant définitivement à Berlin, elle devient membre de l’organisation artistique de Berlin et travaille aussi pour l’association internationale d’aide aux travailleurs.
En 1919, elle est la première femme élue membre de l’Académie des Arts de Prusse. Par la suite elle y dirige la section des arts graphiques, jusqu’à sa démission au moment de l’élection d’Hitler en 1933.
Käthe Kolwitz renouvelle le domaine de l’eau-forte (gravure sur une plaque métallique avec un acide), de la lithographie (technique d’impression de dessin avec une plaque de pierre) et de la gravure sur bois pas forcément par sa technique mais par ses sujets et ses thèmes qu’elle puise dans la vie des classes prolétaires.
Son trait est violent, ses formes sont massives, mais elle s’intéresse peu à la recherche artistique : ce qui compte pour elle, c’est de rendre visible les réalités sociales des plus démunis. Elle a une forte conscience du rôle essentiel joué par les femmes dans les classes travailleuses et tient à montrer leurs responsabilités.

Betende Frau (Femme en prière), 1892
Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg

Assaut, planche 5 du cycle « Guerre des paysans », 1902-03
Politiquement engagée pour un changement radical de société, Käthe Kollwitz est marquée par la lecture de La femme sous le socialisme d’August Bebel qu’elle a lu dans sa jeunesse et qui associe lutte pour la démocratie sociale et combat des femmes pour la reconnaissance de leurs droits. Sa série « Guerre des paysans » comprend 4 gravures sur un ensemble de 7 dont le personnage principal est une femme.
Les femmes chez Käthe Kollwitz ne sont pas des allégories ou des figures historiques : ce sont de vraies femmes prolétaires inspirées par celles qu’elle croise dans son quartier pauvre de Berlin. Elles sont actives, concentrées sur leur tâche. Quand elle représente des mères, elle rattache la maternité à ses réalités matérielles plutôt qu’à une vision irréelle en montrant des mères n’ayant pas de quoi nourrir leur enfant. Cependant, elle montre aussi la maternité comme une possibilité de joie et de tendresse dans une vie de labeur.

Adieu, 1910, Käthe Kollwitz Museum, Cologne

La Mort s’emparant d’une femme, planche 4 de la série « Mort », 1934
Son style et son trait évoluent au cours de sa carrière, mais non pas par rapport à une recherche formelle mais dans le but d’affiner sa représentation du monde prolétaire et de gagner en efficacité dans le message qu’elle cherche à transmettre. Cependant, elle admire les artistes expressionnistes, notamment Edward Munch et son traitement de la souffrance.
En 1927, elle est officiellement invitée par l’Union Soviétique pour participer aux célébrations du 10e anniversaire de la Révolution.
Son œuvre est interdite par le régime nazi en 1936 : elle continue à produire dans son atelier mais elle ne peut plus exposer. La guerre la force à être évacuée, et en 1940 son mari décède Après avoir perdu son fils, tué pendant la Première Guerre Mondiale, son petit-fils est tué au combat en 1942. Elle meurt en 22 avril 1945, en disant : « Je salue tout le monde. »

Les Mères, planche 6 de la série « Guerre », 1921-22
Gwen John (Haverfordwest, 1876 – Dieppe, 1939)
La Solitaire

Autoportrait, 1902, Tate Britain, Londres
Gwendolen Mary John est née au Pays de Galle dans une famille aisée qui encourage les intérêts artistiques de leur enfants. Sa mère est une aquarelliste amateur ; elle meurt quand elle a 8 ans.
Gwen John étudie l’art à la Slade School of Art à Londres, seule école du Royaume-Uni tolérant la présence de femmes (dans des classes non mixtes et avec un système pour que les élèves des 2 genres ne se croisent pas dans les couloirs). Elle y étudie en même temps que son frère Augustus, dont la personnalité flamboyante attire déjà l’attention et contraste avec son caractère introverti. Elle étudie ensuite un an à Paris à l’académie Carmen.
En 1903, elle entreprend avec son amie Dorelia McNeill (future 2e épouse de son frère Augustus) de faire Bordeaux-Rome à pied en peignant le long du trajet. Elles s’arrêtent finalement à Toulouse et remontent à Paris où Gwen John gagne sa vie en posant pour d’autres artistes.
C’est en tant que modèle qu’elle rencontre Auguste Rodin. Elle a 28 ans, il en a 64 et il a pour lui tout le poids de sa réputation internationale – il a aussi complètement brisé la carrière artistique et la santé mentale de Camille Claudel quelques années avant. Follement admirative et surprise que ce monstre sacré ait daigné posé un regard sur elle, elle lui est complètement dévouée pendant 10 ans. Lui semble apprécier la bisexualité de sa jeune amante et fait plusieurs croquis érotiques d’étreintes organisées avec d’autres femmes.

Chloë Boughton-Leigh, 1904–1908, Tate Britain, Londres

Une femme lisant, 1909–1911, Tate Britain, Londres
Amie avec plusieurs artistes des avant-gardes, elle se tient cependant à l’écart de leurs recherches. Après avoir vu une exposition de Cézanne, elle écrit : « Son travail est très bon, mais je préfère le mien. » Indépendante et solitaire, Gwen John apprécie de travailler seule et loin de l’agitation des cercles artistiques.
De 1910 à 1926, le collectionneur américain John Quinn est son principal mécène et achète quasiment toutes ses toiles, ce qui lui permet de ne plus poser comme modèle. Elle déménage alors à Meudon où elle reste jusqu’à la fin de sa vie, et après sa rupture avec Rodin elle se réfugiedans la recherche d’une vie intérieure et dans la religion – elle se convertit au catholicisme en 1913.

Jeune femme tenant un chat noir, vers 1920-1925, Tate Britain, Londres
Sa seule exposition personnelle a lieu en 1926 à Londres, mais elle participe à de nombreuses expositions collectives, notamment au Salon d’automne à partir de 1919.
Dans ses toiles, elle rompt avec les représentations de jeunes femmes fragiles voire maladives du XIXe siècle : elle peint des femmes actives, souvent entourées de livres ou en train de lire, prises dans leurs pensées, avec un fort accent sur leurs dimensions psychologiques dans des environnements dépouillés.
Ses formats sont souvent petits et son style tout en retenue démontre une grande maîtrise des techniques picturales.
En 1926, elle devient amie avec le philosophe catholique Jacques Maritain, son voisin à Meudon, et entame une relation avec la belle-soeur de ce dernier, Véra Oumançoff. Ce sera la dernière romance de sa vie. Elle meurt à Dieppe, le 18 septembre 1939, alors qu’elle cherchait à retourner en Angleterre pour échapper à la guerre.